Dans les tableaux suivants, les professions des fils sont comparées à celles de leurs pères. Pour les fils, j'ai retenu la profession exercée au moment où ils ont atteint l'âge de leur père au moment de leur naissance. Voici la répartition des individus en fonction des années d'observation retenues pour l'étude de la mobilité sociale :
Première cohorte | ||
Nb | Age du père à la naissance | Année de la profession du fils |
21 | moins de 25 ans | 1896 |
36 | 25 - 29 ans | 1901 |
64 | 30 - 34 ans | 1906 |
97 | plus de 35 ans | 1911 |
Seconde cohorte | ||
Nb | Age du père à la naissance | Année de la profession du fils |
12 | moins de 25 ans | 1921 |
59 | 25 - 29 ans | 1926 |
54 | 30 - 34 ans | 1931 |
59 | plus de 35 ans | 1936 |
A partir des deux tableaux précédents et en retenant comme définitions de la mobilité sociale ascendante et de la mobilité sociale descendante celles retenues pour la mobilité professionnelle 953 , j'ai construit le tableau suivant qui donne les principaux résultats synthétiques de la comparaison.
L'indice d'immobilité sociale est assez proche dans les deux cohortes et il s'établit à un niveau qui peut paraître bas. Il est très inférieur à l'indice d'immobilité professionnelle ou intra-générationnelle 955 . Cette constatation n'est pas surprenante. Edmond Goblot remarquait déjà : " On devient plus souvent bourgeois par le mérite de son père que par le sien propre 956 ".
Calculant le mêmeindice pour les Bostoniens, et pour différentes cohortes, Stephan Themstrom obtient des indices très supérieurs : 0,71 pour la génération 1840-1859, 0,74 pour la génération 1860-1879. 0,76 pour celle née entre 1870 et 1889 et 0,69 pour les hommes de la période 1890-1930 957 . En conclure que la fluidité sociale serait mieux partagée entre Rhône et Saône que dans la capitale du Massachussetts 958 pourrait séduire mais serait complètement erroné. En effet, la nomenclature utilisée par Themstrom pour classer les individus ne compte que quatre ou cinq groupes professionnels et cela influe évidemment sur le niveau de l'indice 959 . L'étude ancienne de David Glass, portant sur l'Angleterre et le Pays de Galles permet de calculer le même type d'indice pour différentes générations 960 . A partir des tables de mobilité de David Glass 961 , j'ai calculé les indices d'immobilité 962 pour la génération née avant 1889 et pour celle de 1900-1909. Ces indices sont de 0,45 et de 0,43. Ils permettent de cadrer l'enquête lyonnaise.
En raison de l'importance de la mobilité horizontale ou quasi-immobilité, j'ai construit un indice corrigé en assimilant quasi-immobilité et immobilité. Dans ces conditions, l'indice d'immobilité de la première cohorte lyonnaise atteint 0,75 et celui de la seconde à 0,78. Les variations relatives de l'indice sont faibles - la même impression domine à la lecture des indices de Boston ou de l'Angleterre - et, si l'on devait absolument conclure, on pourrait dire que la rigidité de la société paraît légèrement plus prononcée pour la seconde cohorte. Calculant le même type d'indice en 1953, 1970 et 1977 (France entière, hommes actifs de 40 à 59 ans), Claude Thélot arrive à un indice de 0,59 en 1953 et de 0,50 en 1970 et 1977. Et de conclure : "ni absolument rigide, ni complètement fluide, la société française aurait tendu ... à s'assouplir du début des années cinquante à la fin des années soixante- dix 963 ". On peut retenir le début de sa conclusion et remarquer que les enquêtes des années soixante-dix enregistrent la mobilité des années de croissance. La période de la Belle Epoque semble plus favorable que celle de l'entre-deux-guerres. L'évolution du rapport entre mobilité ascendante et mobilité descendante le confirme. Ce rapport est de 1,96 pour la première cohorte et de 1 pour la seconde. Hartmut Kaelble a dressé un tableau où ils compare les résultats obtenus dans 19 villes d'Europe et du Nouveau Monde. Il conclut mais avec prudence à l'avantage des villes américaines mais il ajoute que cela pourrait bien être une conséquence de la meilleure tenue des sources... 964 . A Boston, ce rapport est de 2.4 pour les générations 1660-1879, de 1,8 pour les individus nés entre 1870 et 1889 et de 3,0 pour ceux nés entre 1890 et 1930 965 . Pour l'Angleterre et le Pays de Galles, ce rapport est de 1,82 pour les individus nés avant 1889 et de 1,06 pour ceux nés de 1900 à 1909. Même si les définitions de la mobilité ne sont pas similaires à celles que j'ai retenues, les niveaux sont comparables à l'exception des Bostoniens de la période 1890-1930 mais cet échantillon agrège des individus si divers (certains pourraient tout à fait être pères et fils) qu'il ne me semble pas le plus probant. Au contraire, tant le niveau que la tendance de la mobilité observée à Lyon coïncide avec le niveau et la tendance enregistrés outre-Manche. Pour la première génération, il y a deux fois plus de mobiles ascendants que de mobiles descendants, alors que pour la seconde cohorte, mobiles ascendants et mobiles descendants sont aussi nombreux. En dépit des différences de nomenclatures, on ne peut qu'être frappé par la parenté des évolutions : la société lyonnaise ne semble pas plus rigide que d'autres. Pourrait-on le dire de l'ensemble de la société française ? Si d'autres études sur la mobilité sociale en France venaient le confirmer, cela pourrait fournir une explication satisfaisante à de nombreux comportements. Peut-être ce rapprochement est- il un peu excessif mais je rappellerai qu'au début des années 1930 Nizan, évoquant Maxence, Brasillach et d'autres, constatait l'impossibilité de ce qu'il nommait le succès et il en concluait que les déçus étaient mûrs pour le fascisme...
Voir le tableau n° 73. Comme pour la mobilité professionnelle, j'ai refusé de qualifier d'ascendants ou de descendants certains itinéraires tels ceux qui font d'un fils d'employé un petit commerçant, ou ceux qui font d'un fils d'ouvrier ou artisan un ouvrier. Ces itinéraires correspondent à la quasi-immobilité sociale ou la mobilité horizontale.
Comme dans tous les calculs précédents, je n'ai pas tenu compte des pères ou des fils classés dans le groupe divers.
On pourrait penser que cela résulte du fait que lorsque l'on compare profession du père et profession du fils, trente ans environ se sont écoulés alors que lorsque j'ai calculé l'indice d'immobilité professionnelle, je ne l'ai fait au maximum que sur 15 ans. La différence de durée expliquerait l'écart des deux indices. En fait, il n'en est rien. Pour la première cohorte, j'ai calculé l'indice d'immobilité professionnelle pour les individus présents en 1896 et 1926. Cet indice est de 0,66. Il est donc très supérieur à l'indice d'immobilité sociale.
Edmond Goblot. La barrière et le niveau, p. 34.
Stephan Thernstrom. The Other Bostonians, p. 105
Rappelons l'étude d'Arsène Dumont, Essai sur la natalité au Massachussetts, Nancy, Berger- Levrault, 1898, 40 p. Traquant la capillarité sociale le démographe devait logiquement s'intéresser à la Nouvelle Angleterre.
Si j'avais utilisé une nomenclature à trois postes pour classer les individus (classes supérieures, classes moyennes, classes populaires), les indices d'immobilité sociale seraient de 0,75 pour les deux cohortes.
Glass David V. (sous la direction), Social Mobility in Britain. Londres, Routledge and Kegan, 1954. 412 p.
D.V. Glass et J.R. Hall. "Social Mobility in Great Britain : A Study of Inter-Generation Changes In Status". Glass David V. (sous la direction), Social Mobility in Britain.p. 177-205. Les tables de mobilité par générations se trouvent p. 186-187. La nomenclature utilisée est une nomenclature utilisant 5 groupes différents.
David Glass calcule bien sûr rindice de Glass. critiqué par Raymond Boudon. Voir Raymond Boudon. Uathemalical Structures ol Social Mobility, p. 14-17.
Claude Thélot. Tel père, tel fils ?. p. 52. Ces Indices sont calculés en fonction d'un classement dérivé du code INSEE et utilisant huit postes.
Kaelble Hartmut, Social Mobility in the 19th and 20th Centuries, Europe and America in Comparative Perspective, New-York, Columbia University Press, 1981, p. 8-11
Thernstrom Stephan, The Other Bostonians, p. 86