Introduction à la première partie

L’analyse économique se trouve au sein d’un terrible dilemme, qui explique grandement les controverses scientifiques dont elle est à l’origine. Ce dilemme est le suivant : l’économie est-elle une science sociale qui vise à proposer une interprétation du fonctionnement du marché la plus pertinente possible, ou bien doit-elle s’attacher à déterminer des « lois naturelles » rationnelles, mathématiques, auxquelles obéirait le marché, voire la société dans son ensemble (analyse positive) ?

Il est intéressant de constater combien dans l’histoire de la pensée économique, de nombreux auteurs ayant cherché à interpréter des faits économiques, ont été critiqués non pas sur le fond de leur analyse (l’intérêt que cette analyse pouvait avoir pour expliquer des faits), mais plutôt sur leur forme (la rigueur de leur formulation, rigueur nécessaire à la détermination de lois). Marshall, par exemple, qui a introduit pour la première fois le concept d’effet externe, peut être critiqué pour le manque de rigueur et l’ambiguïté de son propos (Jessua, 1968) 14 . Pourtant, s’il s’est refusé de formaliser trop en avant son concept d’effets externes, c’est qu’il avait bien conscience des risques d’une formulation trop poussée d’une analyse du marché qui n’était pour lui qu’une « introduction nécessaire à un traitement plus philosophique de la société comme un organisme 15  ».

Aujourd’hui, le concept d’effet externe est au coeur des débats concernant l’intégration des contraintes d’environnement dans les politiques des transports. Mais l’analyse des interactions non marchandes peut-elle se réduire à l’application du concept d’effet externe ? Est-il suffisant de ne considérer les valeurs sociales comme des inputs économiques existant a priori ? La théorie du bien être n’est-elle pas trop rationalisée et simplifiée pour embrasser de façon suffisante l'analyse d'une réalité sociale aux multiples rationalités ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons tout d’abord présenter comment la théorie néoclassique, initiée par Walras et Pareto, a donné naissance à la théorie du bien être grâce aux concepts d’externalités que l’on attribue à Marshall et Pigou. Nous mettrons en relief les problèmes redoutables que pose cette théorie et nous évoquerons les critiques qu’elle a suscitées (Chapitre I). A travers une série de définitions, nous synthétiserons ensuite les principes théoriques actuellement implicitement ou explicitement admis. Ces définitions nous permettrons de bien cerner les potentialités et limites du concept d’effet externe, et de proposer une application au cas des transports (Chapitre II). Enfin, nous poserons la question du caractère suffisant ou non de la théorie du bien être dans l’analyse des interactions non marchandes existant dans la société (Chapitre III).

Notes
14.

voir JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France, p. 130.

15.

MARSHALL, Alfred (1920), Principles of Economics, Londres, Macmillan, XXXIV-871 p, pp. 460-461.