I2.2 Le système de taxation de Pigou

Pigou, dans Wealth and Welfare (1912) 36 , reprend le concept d’économie externe de Marshall, ainsi que sa suggestion d’intervention publique dont nous avons parlé. Il y ajoute l’appellation « divergence entre produit marginal privé et social » : lorsqu’une firme travaille en régime de rendements croissants, son produit marginal social est supérieur à son produit marginal privé, puisqu’une augmentation de sa production fait profiter les consommateurs d’une baisse des coûts. Pigou, comme Marshall suggère alors de subventionner cette industrie pour égaliser produit marginal privé et social. On comprend que toute augmentation de la production dans une industrie à rendements croissants est socialement profitable puisqu’elle conduit la société à une économie des ressources.

Avec l’appellation produit marginal social, Pigou ne pouvait en rester au domaine de la firme. Il constate qu’au-delà des phénomènes de structures de coûts des firmes, la condition d’indépendance des fonctions production et de consommation (nécessaire à la réalisation de l’optimum) n’est que très rarement respectée. Il existe en effet de nombreuses interactions entre les agents économiques, qui ne donnent pas lieu à échange sur un marché. Reprenant alors l’appellation d’économie externe de Marshall, il la généralise en présentant aussi des cas de déséconomies externes (fumées d’usines...). Par la suite, la majeure partie des externalités évoquées par Pigou ont été appelées externalités technologiques du fait que leur effets n’étaient pas directement monétaires.

L’ensemble de ces effets externes crée ainsi une série de situations où le système des prix ne répond plus à sa fonction d’information et d’incitation : Pigou à propos de nombreux cas tels que l’implantation de forêts, la lumière à la porte d’une maison qui éclaire la rue, le dispositif anti-fumée, la construction d’une usine dans un quartier résidentiel, parle de divergence entre le prix égal au coût privé, et le coût social. Par exemple lorsqu’une firme choisit de s’installer dans une zone économique en crise, elle occasionne des effet positifs sur son environnement, et le produit marginal privé de sa production est inférieur à son produit marginal social ; de façon équivalente, on pourra dire que le coût marginal privé de sa production sera supérieur à son coût marginal social. Si au contraire cette firme produit à ses alentours plus de nuisances que de bénéfices, le coût marginal privé de sa production sera inférieur à son coût marginal social.

Ce constat amène Pigou à proposer un système de taxations-subventions (« taxations pigouviennes ») que L’Etat pourrait mettre en place pour faire coïncider les prix du marché aux coûts marginaux sociaux. En internalisant dans le marché les effets (positifs ou négatifs) des interactions existant entre les divers agents économiques, on peut alors retrouver la condition d’indépendance des fonctions de production et de consommation indispensable à l’optimum.

Mais pour internaliser ces différences entre coûts marginaux privés et sociaux, il faut avant cela pouvoir les évaluer. A ce propos, Pigou propose une distinction intéressante entre l’évaluation d’externalités « pertinentes », c’est-à-dire qui sont effectivement révélées par une réaction individuelle ou collective (ex : l’individu qui décide de se protéger du bruit routier par un double vitrage, ou la collectivité qui décide de protéger cet individu -et d’autres- par des protections phoniques), et l’estimation d’externalités « potentielles », dont on sent l’existence mais qui n’ont pas encore été révélées (ex : risques atmosphérique à long terme). Cette distinction est particulièrement riche puisqu’elle montre la variabilité d’un optimum social. Notons alors qu’il peut exister une infinité d’optima sociaux, en fonction de différentes hypothèses de valorisation des externalités.

En définitive, partant de problèmes d’efficience (structures de coûts à rendements croissants, interactions entre les firmes), Pigou finit par considérer l’ensemble des problèmes concernant le bien être (nuisances, interactions entre les firmes et les individus, et entre les individus, prise en compte du long terme face à la « myopie » des préférences individuelles sur le marché). L’écart par rapport aux analyses de Walras et Pareto est en fait considérable : pour ces derniers, les faits économiques n’existent que parce qu’ils sont révélés à travers l’échange. Pigou, dès lors qu’il considère des interactions entre agents externes au marché, ouvre à la théorie économique des espaces fascinants, mais qui reposent alors sur des bases bien fragiles.

En s’écartant ainsi du marché, il a un discours qui justifie largement l’intervention de l’Etat dans de nombreux domaines de l’économie. Mais sa théorie ne devient-elle pas ambiguë, qui laisse miroiter la possibilité d’accéder à un optimum de Pareto d’ordre social ?

Notes
36.

PIGOU, Arthur, (1912), Wealth and Welfare ; (1920), The Economics of Welfare ; (1932), Economics of Welfare, Londres, Mac-millan, 4è éd., xxxi-837p.