I2.3 De l’économie sociale à L’Etat : la généralisation du concept d’effet externe aux biens publics

1°) La généralisation du concept d’externalité à l’ensemble des défaillances du marché

Si l’on considère la production des biens et services publics par l’Etat, on peut remarquer qu’elle consiste en un cas de divergence entre produit marginal privé et produit marginal social. l’Etat met ainsi à disposition de l’ensemble des agents économiques des biens dont le produit marginal social (ou avantage marginal collectif) est bien supérieur au produit marginal privé. Ces biens ne peuvent pas être produits par marché de concurrence, car soit la production n’est pas suffisamment rentable pour être assurée, soit elle conduit à une situation monopolistique.

Les biens publics peuvent être ainsi assimilés à un cas particulier d’externalité. Selon Claude Jessua, « ils relèvent d’une explication unitaire qui les englobe avec tous les autres effets externes. 37  » André Vianès (1980) 38 , également, interprète « La raison économique d’Etat » comme une production d’externalités publiques (production qui obéit à une contrainte de maintien d’une certaine stabilité institutionnelle et sociale de la nation). Remarquons que la production d’un bien public pur équivaut en fait à la subvention intégrale par un Etat-percepteur de la production d’une firme qui n’est constituée que d’effets externes. L’approche de Vianès s’inspire en fait de la généralisation du concept d’externalité adoptée par Bator (1958) 39 , pour lequel « l’externalité exprime une situation dans laquelle certains coûts ou bénéfices parétiens (sociaux) restent externes aux calculs décentralisés de coûts et bénéfices en terme de prix ». Bator différencie ainsi les trois catégories de défaillance du marché suivantes :

  • externalités dues à des problèmes de propriété (air pur, environnement...) ; dans ces cas de figure, un prix optimal est théoriquement possible, mais il n’existe pas ; ces premières externalités sont des externalités technologiques ;
  • externalités pour des raisons techniques (représentant les phénomènes de rendements d’échelle croissants) ; pour les activités à rendement croissant, un prix peut exister (au coût moyen), mais il ne peut être optimal (tarifée au coût marginal, l’activité est exclue du marché) ; ce sont les externalités pécuniaires ;
  • externalités dues à des biens collectifs purs (production optimale impossible) : dans ce troisième cas peuvent entrer des externalités soit technologiques, soit pécuniaires.

Pour Maurice Catin (1980) 40 , qui commente l’analyse de Bator, « la ligne de partage utilisée entre l’interaction directe et les autres défaillances, axée sur les conditions de réalisation d’un prix n’est pas dénuée de fondement ». Cette généralisation du concept d’externalité permet alors à la théorie néoclassique d’englober l’ensemble de la société, et notamment l’analyse des actions de l’Etat. Dès lors que Pigou avait ouvert la voie de l’interprétation du social par la théorie de l’optimum, comment cette voie pouvait elle ne pas conduire à une telle généralisation ? Nous pouvons voir à travers le tableau suivant dans quelle mesure toutes les interactions non-marchandes produites aussi bien par l’Etat que le marché peuvent être effectivement interprétée en termes d’externalités.

Entre Etat et marché, satisfactions économiques et satisfactions sociales
Satisfactions économiques Satisfactions sociales
Etat Production d’externalités
publiques d’efficience du
marché. (Organisation, infrastructures, recherche, enseignement...)
Production d’externalités publiques sociales (Défense, justice, culture,
éducation, environnement...)
Marché Production de biens d’utilité individuelle. Production d’externalités positives, ressources fiscales.

Remarquons que contrairement à ce que laisserait penser le tableau, la typologie présentée n’est qu’une simplification d’une réalité où l’on passe d’une case à une autre non pas de façon discrète, mais de façon continue. Notons par exemple que la production d’externalités publiques « sociales » a évidemment des impacts en termes « économiques » (une défense et une politique étrangère fortes renforcent le sentiment d’appartenance national, et donc favorisent une certaine stabilité sociale ; une politique d’amélioration du cadre de vie, d’augmentation du niveau d’éducation, de culture peut conduire à une meilleure productivité économique des individus 41 ). Mais comme le fait remarquer Yves Crozet (1991) 42 , « l’absence de discontinuité nette entre les secteurs n’invalide pas nos concepts, mais témoigne de la complémentarité qui existe entre les secteurs privé et public, les activités marchandes et non marchandes ».

Notes
37.

JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 32.

38.

VIANES, André (1980), La raison économique d'Etat, Presses Universitaires de Lyon, 464p.

39.

BATOR F.M., The Anatomy of Market Failure, Quarterly Journal of Economics, août 1958, pp. 351-379.

40.

CATIN M. (1980), Effets externes marchés et systèmes de décision collective, Editions Cujas, p. 119.

41.

A contrario la satisfaction de normes sociales trop en avance par rapport aux préférences individuelles peut induire des dysfonctionnements économiques : ainsi, le chômage important en Europe peut être lié à un haut niveau culturel (refus des travaux humainement avilisants et pénibles) marié à des préférences individuelles qui restent fortement materialistes (importance accordée au pouvoir d'achat, conscience faible des satisfactions non marchandes) et qui empêchent un réel développement de la production de services et biens sociaux (dispositions à payer insuffisantes).

42.

CROZET, Yves, (1991), Analyse économique de l'Etat, Cursus-Armand Colin, p. 23.