2°) Optimum public et prix d’équilibres sociaux (pseudo-prix)

Situant le problème des biens publics dans la continuité du problème des effets externes, Samuelson (1954) 43 a cherché dans un modèle à généraliser les procédures d’internalisation de type parétiennes aux biens publics : ce modèle consiste à proposer une solution « compatible avec l’individualisme [mais qui] introduit explicitement les interdépendances externes qu’une théorie publique ne peut ignorer » (Terny, 1971) 44 . Il conduit alors à un Etat-percepteur qui peut atteindre un optimum de Pareto social : Samuelson montre que la production optimale pour les biens publics exige que la somme des taux de substitution de chaque consommateur entre un bien public A indivisible et un bien privé B soit égale au taux de transformation entre ce bien public A et le bien privé B. Remarquons que si Samuelson considérait dans son modèle les seuls biens publics indivisibles, des prolongements théoriques de son modèle ont par la suite été développés introduisant aussi les biens publics divisibles. Le modèle de Guy Terny étudie ainsi les « conditions de l’affectation optimale des ressources et des prix associés à l’optimum dans une économie comportant un service collectif divisible à qualité variable » 45 . Son analyse le conduit à mettre en avant la règle de tarification des services collectifs compatible avec l’optimum parétien, c’est-à-dire la tarification au coût marginal social, dont on retrouvera le principe dans le calcul économique public.

Notons un point important nécessaire à la possibilité d’un tel optimum. Dans la théorie économique pure, le consommateur peut classer de façon cohérente tous les paniers de biens possibles selon une relation de préférence (la condition de cohérence consiste en une transitivité des préférences). A cette relation de préférence, est associée une fonction d’utilité (utilité fonction des différents paniers), et une courbe d’indifférence (reliant tous les paniers considérés comme équivalents). Lorsque le consommateur fait son choix sur le marché, en fonction des prix respectifs de chacun de ces paniers de biens, il choisit le panier de bien lui apportant le plus d’utilité dans la limite de ses ressources. Par la suite, un optimum de Pareto sera possible par l’existence d’un vecteur prix d’équilibre (prix de l’ensemble des biens du marché) qui va faire coïncider les courbes d’indifférence des consommateurs en un point (ces courbes étant toutes tangentes en ce point au vecteur prix d’équilibre 46 ).

Au delà des détails mathématiques de la théorie, ce qui nous importe ici est de préciser que c’est l’existence de prix d’équilibre sur l’ensemble du marché qui permet la confrontation des préférences de l’ensemble des consommateurs et la réalisation de l’optimum. Ces précisions nous permettent de bien comprendre qu’admettre la possibilité d’existence d’un optimum social revient à admettre la possibilité d’existence de prix d’équilibre pour tous les biens ou services produits par la société dans son ensemble (« quasi-prix fictifs » sociaux). Si les prix classiques sont biens déterminés par le marché, on conçoit le flou qui enveloppe une bonne détermination de prix sociaux. En effet, il s’agit de connaître des dispositions individuelles à payer des biens publics, qui par nature sont dissimulées par les individus (rationalité du « passager clandestin » 47 ).

Notes
43.

SAMUELSON, P. A., (1954), The Pure Theory of Public Expenditure, Review of Economics and Statistics, vol. XXXVI.

44.

TERNY, Guy (1971), Economie des services collectifs et de la dépense publique, Dunod.

45.

TERNY, Opus. Cit.

46.

Pour plus de détails mathématiques, on pourra se reporter à GUERRIEN, Bernard (1986), La théorie néo-classique, Bilan et perspectives de l'équilibre général, Paris, Economica, 495p., pp. 25, 36, 151, 216.

47.

voir Vianès, p. 162. Nous développerons le problème du « passager clandestin » dans le premier chapitre de notre seconde partie.