I3.1 La controverse sur les « boites vides » : distinction et critique des externalités pécuniaires et réduction du concept aux seules externalités technologiques

Le concept d’externalité, légitimant a priori les intervention publiques, fut la cible de critiques nombreuses, à travers notamment la « controverses des boites vides » entamée par Clapham (1922) 48 . Pour ce dernier, le concept d’industries à rendements croissants, constants, ou décroissants ne repose sur aucune réalité concrète : il est bien difficile, dans la réalité de classer les industries en fonction de leurs rendements d’échelle, puisque une firme peut avoir des rendements d’échelle croissants sur une courte période, mais retrouver des rendements décroissant sur une plus longue période. Les externalités sont ainsi qualifiées par Clapham de « boîtes vides », dans la mesure où elles ne correspondent selon lui à aucune réalité concrète. Knight (1924) 49 précisait aussi qu’en cas de situation avec externalité due à un phénomène de rendement croissants, cette situation ne peut être que transitoire, dans la mesure où sur une longue période (équilibre général), soit le phénomène dégénérera en monopole, soit la loi des rendements décroissants reprendra ses droits.

C’est un article de Viner (1931) 50 qui mit fin à la controverse, par une distinction fondamentale entre externalités pécuniaires et technologiques :

  • les externalités pécuniaires sont des interactions hors marché affectant les fonctions de coûts des entreprises, par le système des prix relatifs. Elles sont intimement liées au problème des rendements croissants des industries.
  • Les externalités technologiques sont des interactions hors marché affectant les fonctions d’utilité des entreprises ou des consommateurs (par exemple, les fumées d’usine). Elles correspondent aux effets statiques exposés par Pigou, et ayant une signification dans l’économie du bien être.

Plus tard, Scitowsky (1954) émet des réserves sur l’introduction du concept d’externalités pécuniaires dans une approche en termes d’équilibre général, considérée comme inutile. Mishan (1968) qualifie le concept « d’extravagance verbale » (Laffont, 1977) 51 . Effectivement, d’après Jean Jacques Laffont (1985) 52 , dans le cadre du modèle d’équilibre général, il est possible de démonter la non pertinence des externalités pécuniaires, qui ne relèvent théoriquement que d’une analyse en équilibre partiel. Nous verrons cependant dans notre troisième partie dans quelle mesure des écarts aux hypothèses du modèle néoclassique nous amènent à réhabiliter les externalités pécuniaires. Comme le précise de plus Claude Jessua (1968) 53 , avec la controverse sur les « boîtes vides », « les prétention initiales de Marshall et Pigou, tant sur le plan explicatif que normatif, s’étaient vu réduire sous trois aspects : 1° sur le plan de la théorie du bien être, seules avaient une signification les économies et déséconomies externes technologiques . 2° Les économies externes proprement dites sont extrêmement rares (...).3° Les industries à coûts croissants, constants ou décroissants sont autant de « boîtes vides » ». En définitive, cette polémique sur les « boîtes vides », confuse, par certains cotés plus idéologique que scientifique eut deux effets que nous qualifierons de fâcheux :

1°) elle conduisit à masquer l’intérêt des concepts introduits par Marshall ;

2°) elle amena un désintérêt pour le concept d’externalités pécuniaires.

Finalement, la formalisation élaborée par Meade (1952) 54 pour représenter les externalités technologiques considérées par la suite par une majorité d’économistes comme seules dignes d’intérêt, est celle qui est aujourd’hui couramment admise par une grande partie des économistes, notamment par Rothengatter (1993), qui introduit des facteurs incontrôlés (c’est à dire externes) dans les fonctions d’utilité du consommateur ou du producteur 55  :

Notes
48.

voir LAFFONT, J. J. (1977), Effet externes et théorie économique, monographies du séminaire d’économétrie, éditions du CNRS.

49.

voir JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France, p. 143.

50.

idem

51.

LAFFONT, J. J. (1977), Effet externes et théorie économique, monographies du séminaire d’économétrie, éditions du CNRS.

52.

voir LAFFONT, J.J., Economie publique (tome 1), Economica, 1985, p.35.

53.

JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France, p. 143.

54.

idem

55.

ROTHENGATTER, Werner (1993), Volkswirtschaftslehre II - Micoökonomie, IWW, Universität Karlsruhe.