Conclusion du chapitre I

Nous avons présenté les grandes lignes des principes théoriques néoclassiques initiés par Walras et Pareto. Nous avons vu par la suite que les apports de Marshall et Pigou, en mettant en relief l’existence d’interactions entre agents qui empêchent la réalisation de l’optimum, montrent la non optimalité de la libre concurrence sur le marché, et la nécessité d’interventions correctrices de l’Etat. Comme le synthétise Mark Blaug (1983) 74 , « les choix des consommateurs tels qu’ils s’expriment dans les valeurs du marché ne reflètent pas nécessairement l’importance sociale des biens et des services. Il y a des biens qui sont utiles et que la concurrence ne produit pas de façon appropriée (...). En réalité, quiconque a été sensible à l’accent mis par Pigou sur l’interdépendance possible entre les firmes et les ménages ne peut pas continuer à croire dans la coordination spontanée des intérêts privés et sociaux ». L’analyse de Marshall et Piou, qui est dans un sens une critique des insuffisances de la théorie néoclassique, a pourtant apporté des concepts qui dans un autre sens a permis aux économistes d’avancer vers une globalisation de la théorie intégrant l’Etat voire l’ensemble de la société.

L’ambition d’une telle globalisation se heurte cependant à des problèmes immenses. En effet, l’optimisation du marché implique une internalisation optimale des différentes externalités, qui elle même implique une évaluation optimale. Le principe de généralisation de la théorie de l’optimum au monde social implique donc l’existence d’un « Etat parfait régnant sur l’utopie 75  » (Vianes, 1980). En effet, dès lors que l’on considère que la prise en compte des externalités peut conduire à un optimum de Pareto, cela revient à admettre un état d’information parfaite sur les valeurs de l’ensemble des interactions non monétaires existant dans la société.

Le nombre infini d’interactions hors marché fortement controversée (« controverse des boites vides »), le « théorème d’impossibilité de Arrow sur la construction d’une fonction de bien-être collectif qui implique une comparaison interpersonnelle des utilités de facto arbitraire, de même la difficulté, soulignée par Coase, de concrétiser un système de taxation correspondant au coût marginal social de la théorie pigouvienne, cantonne l’existence d’un optimum social à un cas d’école théorique. Par ailleurs, a propos de la solution de création de marché, l’existence de coûts de transactions et de contrôle important la cantonne à certains cas limités (Rothengatter, 1993) 76 .

Les théories des effets externes de l’économie du bien être ou de l’école du « public choice », lorsqu’elle doivent être appliquées, sont ainsi obligée d’abandonner la notion d’optimum de Pareto pour des approches indirectes de second rang, plus « subjectives », cherchant plutôt à introduire dans le marché de façon pragmatique les coûts sociaux les plus flagrants. Nous avons déjà vu la subjectivité qui pouvait entourer les études fondées sur le calcul économique public. Il en sera de même pour toute étude d’évaluation des externalités, ou l’économiste, que ce soit volontairement ou inconsciemment, suivant le « principe de non neutralité », risquera en permanence de valoriser des biens non marchands en fonction de son propre système de valeur.

Mais faute d’alternatives, l’économiste accepte ce risque de « non neutralité ». Car abandonner la théorie des effets externes sous prétexte de ses défaillances, c’est implicitement s’en remettre à la régulation marchande pure. Claude Lefort (1986) 77 argumente en ce sens lorsqu’il milite pour une tradition de l’engagement : « si l’on prétend ramener la connaissance dans les limites de la science objective, l’on rompt avec la tradition philosophique ; faute de prendre le risque de juger, on perd le sens d’une différence entre les formes de sociétés. Le jugement de valeur renaît alors hypocritement sous le couvert d’une hiérarchisation des déterminants du supposé réel, ou bien s’affirme arbitrairement dans l’énoncé brut des préférences ».

Notes
74.

BLAUG, Mark, (1983), La pensée économique, Origine et développement, Economica, p. 711.

75.

VIANES, André (1980), La raison économique d'Etat, Presses Universitaires de Lyon, 464p, p. 153.

76.

ROTHENGATTER, Werner (1993), Volkswirtschaftslehre II - Micoökonomie, IWW, Universität Karlsruhe.

77.

LEFORT, Claude (1986), Essais sur le politique, Paris, Seuil.