2°) La valorisation en fonction d’objectifs, ou les externalités « potentielles »

L’économiste peut aussi choisir de juger sous-optimales les atteintes à l’environnement (développement non durable). Sa démarche consiste alors à proposer des valorisations d’externalités « potentielles » qui devraient et/ou pourraient être internalisées au moins collectivement dans un avenir proche.

Cette autre interprétation conduit donc à une évaluation fondée sur un optimum correspondant à une contrainte normative qui pourra apparaître dans un avenir plus ou moins proche. On dira donc que le coût marginal social de telle nuisance est égal au coût marginal d’évitement de cette nuisance à tel niveau d’évitement supposé optimal, soi Cmx(x0)=Emx(x0 supposé optimal)

Considérons par exemple la pollution consécutive à la présence du plomb dans l’essence : elle peut-être évaluée par le coût de l’installation d’un pot catalytique sur les voitures. Avant la législation rendant obligatoire le pot catalytique, une telle évaluation consistait en une valorisation « potentielle » ; à l’heure actuelle, la même évaluation représente une valorisation « révélée ».

Cet exemple nous permet d’illustrer la difficulté méthodologique majeure de l’évaluation du coût marginal social que nous avions évoqué : dans l’évaluation du coût d’installation du pot catalytique, on n’échappe pas à une assimilation entre coût marginal et coût variable moyen. Ici en effet, on mesure la variation marginale de coût pour une voiture, considérée comme l’unité élémentaire.

Dans la pratique, la difficulté est toujours de situer la situation présente par rapport à une situation qui serait optimale. C’est notamment le cas si l’on a affaire à des nuisances telles que les atteintes à la biosphère, d’autant plus difficiles à intégrer qu’elles sont mal connues et supposent la définition d’un taux d’actualisation prenant en compte les intérêts des générations futures...

Ce faisant, l’économiste prend clairement parti et juge l’état de la société non soutenable à long terme. Lorsqu’il valorise des externalités non encore révélées, il est conduit à intégrer dans son analyse des jugements normatifs en ce qui concerne l’environnement, la préférence pour le long terme, le droit des générations futures... Dans ce cas, il peut fonder son évaluation sur un niveau d’évitement correspondant à une contrainte normative qui pourra apparaître dans un avenir plus ou moins proche.

En fait, une telle approche nécessite un inventaire des moyens existants de réduction des nuisances, et une recherche pluridisciplinaire sur la définition de limites supportables pour chaque nuisance. Plus généralement, une connaissance des élasticités du niveau de nuisance en fonction des prix pourrait permettre de définir le montant de taxes conduisant l’action décentralisée du marché au niveau d’évitement souhaité. Mais un tel niveau de connaissance reste de l’ordre de la fiction.

Tout l’intérêt des méthodes d’évaluation des coûts d’environnement « potentiels » non encore internalisés par la collectivité réside en fait dans la clarté de leur « subjectivité » : dans la mesure où elles reposent sur des hypothèses bien explicitées, elles peuvent apporter de précieux éléments d’information et d’aide à la décision. Notons que ces hypothèses peuvent non seulement s’appuyer sur des éléments scientifiques (ex : hypothèse selon laquelle le bruit est dommageable à partir de 60dB), mais aussi sur des éléments sociaux (ex : hypothèse selon laquelle une préférence collective pour la qualité de l’environnement peut s’affirmer à l’avenir).

Ces méthodes conduisent à des fourchettes d’évaluation fonctions de différentes hypothèses : ces fourchettes d’évaluation n’ont pas vocation à se refermer peu à peu, au fur et à mesure des progrès dans les évaluations, vers une valeur « objective » de plus en plus précise qui conduirait à un « optimum ». Ces fourchettes d’évaluation sont bien au contraire destinées à rester larges, laissant un large champ de manoeuvre au décideur politique, qui pourra se référer aux hypothèses correspondant au mieux à sa perception de la réalité, aux préférences des électeurs dont il est le représentant.

La recherche « objective » de l’optimum et des préférences sociales est remplacée bel et bien par une logique de tâtonnement : c’est en proposant des fourchettes d’évaluations d’externalités nécessairement « subjectives », que l’économiste cherche à mieux faire révéler ses préférences au décideur politique. Une telle analyse peut être construite suivant des principes de développement durable, ou l’économiste n’a plus a se préoccuper de toutes les externalités : il peut se concentrer sur les seules interactions qui deviennent significatives dans une hypothèse de préférence pour l’environnement qui s’affirme.