3°) Cas des externalités d’environnement : deux conceptions philosophiques de l’environnement

Le marché de l’évitement nous a permis de mettre en relief les deux approches économiques de l’internalisation, suivant que l’on considère ou non le caractère réciproque des externalités. Mais les externalités d’environnement sont-elles réciproques ou unilatérales ? En fait, face aux externalités d’environnement, l’économiste est là encore contraint de prendre une position normative sur une question de « droits de propriété » que l’on accorde à la nature. Les deux approches sont bien distinguées par Quinet 91 d’une part (Quinet, 1990) et dans le rapport Planco 92 d’autre part (Planco, 1990).

La controverse entre Rothengatter et Willeke illustre aussi tout à fait cette divergeance. Face à la multitude de travaux de recherche sur les effets externes négatifs du transport routier, Rainer Willeke (1992) 93 défend l’idée selon laquelle l’activité du transport routier génère aussi des effets externes positifs qui compensent globalement au niveau de la collectivité les effets négatifs. Selon Willeke, l’existence d’une multitude d’interactions hors marché est parfaitement normale. Ces interactions accompagnent le progrès technique et leurs effets négatifs et positifs s’équilibrent globalement.

Pour Rothengatter (IWW, INFRA, 1995) 94 , qui répond à Willeke, un équilibre est impossible si les effets positifs et négatifs agissent à des niveaux différents d’interaction : mais dans ce cas, on considère implicitement l’environnement comme une sphère indépendante de la sphère de la collectivité. Les positions de ces deux chercheurs sont en fait inconciliables, dans la mesure où vis-à-vis de l’environnement, ils se situent chacun sur des paradigmes différents. Nous touchons là la question de la nature économique de l’environnement.

Pour Willeke, ainsi qu’un certain nombre d’économistes, qui utilisent les termes de « coûts sociaux » environnementaux, la qualité de l’environnement n’est qu’un cas particulier de bien social, ou collectif, ou public (plus ou moins divisible suivant que l’on a affaire à des nuisances locales, ou globales) : l’environnement fait partie de la sphère collective, il y a donc toujours et nécessairement équilibre au niveau collectif (par définition). Pour Rothengatter, mais aussi pour Alain Bonnafous (1993) 95 , ainsi que pour d’autres économistes, l’environnement constitue une sphère bien à part, la « biosphère ».

Cela dit, nous rejoignons Rothengatter lorsqu’il souligne que « même si la somme des coûts externes égale la somme des bénéfices externes, il n’est pas justifiable de renoncer à une politique d’internalisation individuelle » 96 . L’affectation des ressources est plus efficace lorsqu’elle peut s’effectuer de façon décentralisée.

Notes
91.

QUINET, E. (1990), Le coût social des transports terrestres, OCDE, pp. 49-55.

92.

PLANCO, (1990), Coûts externes du trafic : rail, route, voie navigable, Essen, p. 74.

93.

WILLEKE, Rainer (1992), Nutzen des Verkehrs und der verschiedenen Verkehrsmittel, Rapport pour une table ronde de la CEMT 30/06-1/07 92 à Lyon.

94.

IWW, INFRA (1995), External Effects of Transport, project for UIC, Paris.

95.

BONNAFOUS, Alain, (1993), Transport et environnement : mesures et démesures, Economie et statistique.

96.

IWW, INFRA, Op. Cit.