2°) La mise en place de taxes sur la pollution en Suède

Dès le début des années 1980, la Suède s’est lancée dans une politique de l’environnement volontariste, mais c’est en 1990, avec l’internalisation des coûts de la pollution atmosphérique, que cette politique est véritablement passée à la vitesse supérieure. Les suédois ont réalisé que si la monétarisation de l’environnement peut paraître quelque peu artificielle, ou non scientifique, elle est indispensable à une réelle prise en considération de l’environnement dans nos systèmes capitalistes tels qu’ils fonctionnent. La démarche adoptée en Suède peut être décomposée en trois temps :

  • réflexion de fond sur un « développement économique écologiquement soutenable », conduisant à la proposition de coûts marginaux par émissions de polluants atmosphériques, correspondant à un objectif de réduction de la pollution de moitié (Commission sur les Instruments Economiques dans la Politique de l’Environnement) ;
  • débats au parlement suédois sur la pertinence de ces propositions, et adoption de ces coûts marginaux pour la majeure partie des émissions polluantes ;
  • intégration de ces coûts légitimés par une décision politique dans le calcul économique, et notamment dans la tarification des transports, par des taxes sur la pollution.

Cette démarche est exemplaire par son côté opérationnel et réaliste :

Nous avons vu précédemment dans l’analyse des méthodes que l’on se retrouve face à une évaluation de l’évitement, qui n’est pas véritablement une évaluation de dommages, mais qui peut donner des résultats concrets, et une évaluation des dommages plus directe certes, et plus compatible avec la théorie économique, mais dont les résultats sont difficilement exploitables vu leur incertitude. Les suédois ont choisi la première.

Les coûts marginaux sociaux étant égaux aux coûts d’évitement au niveau d’évitement optimal, il a tout d’abord fallu évaluer ce niveau optimal. Plutôt que d’en rester aux dépenses d’évitement effectives (externalités « révélées »), les suédois ont donc considéré l’évaluation de l’ensemble des mesures qui pourraient être mises en place pour réduire cet effet à un niveau donné. Un tel niveau « optimum » a ainsi été proposé par des scientifiques sur la base d’un développement écologiquement soutenable. Par la suite, la monétarisation de la pollution suédoise (« potentielle ») a reçu par une légitimité politique par un débat et un vote au parlement.

En fait, dans leur approche des effets externes de la pollution, les suédois n’ont pas eu de vaine prétention à trouver une internalisation de la pollution « objective » : en faisant appel à des arbitrages autres qu’économiques, ils ont plutôt recherché un certain pragmatisme, tout en visant un minimum de pertinence. Des dommages mal connus ou à long terme (effets de la pollution sur la santé, sur la végétation, sur la biosphère...), non pris en compte par des évaluations purement économiques, ont alors pu être internalisés dans le calcul économique.

En définitive, l’exemple suédois illustre remarquablement les potentialités et les limites de l’évaluation monétaire de l’environnement. Parmi les potentialités, on retiendra :

  • qu’une évaluation monétaire est possible, si elle se fonde sur des dépenses d’évitement pour atteindre un objectif donné ;
  • qu’il est possible, l’exemple suédois le prouve, d’internaliser des coûts externes sur la base de cette évaluation monétaire.

Ceci ne doit pas cependant en faire oublier les limites :

  • il ne peux exister d’évaluation objective : la démarche qui se fonde sur un objectif donné suppose un engagement certain de la part des décideurs politiques et des scientifiques en matière d’environnement : le choix de différents objectifs pour chaque type de nuisances revient en quelque sorte à définir un développement économique soutenable à terme pour tous les individus, pour la collectivité, ainsi que pour la biosphère ;
  • une évaluation monétaire sera plus ou moins pertinente, si elle se fonde sur des objectifs plus ou moins reconnus comme pertinents par les milieux scientifiques ;
  • elle sera plus ou moins légitime, si elle se fonde sur des objectifs adoptés ou non politiquement.

Notons au passage qu’une évaluation monétaire ne peut être à la fois pertinente et légitime que dans un cadre où les scientifiques et les décideurs politiques s’accordent ensemble sur la définition d’objectifs en matière d’environnement, comme en Suède.