Conclusion du chapitre II

Après une série de définitions nous avons présenté les problèmes que pose l’application du principe théorique d’effet externe qui imposent de facto l’abandon du cadre théorique de l’optimum de Pareto pour des solutions moins rigoureuses mais pragmatiques de second rang. Ces problèmes ne représentent pas une raison suffisante pour abandonner la théorie, comme le montre remarquablement l’exemple suédois d’internalisation. Ils nous invitent cependant à la prudence dans l’application du concept d’externalité. L’économiste doit bien avoir conscience des limites d’une part des évaluations des dommages, limitées à des valeurs minimales du fait d’importantes incertitudes et l’évaluation des dépenses d’évitement étant fondée sur des hypothèses d’objectifs « raisonnables » plus ou moins explicites, plus ou moins légitimes. Or l’économie, si elle a un rôle d’éclairage fondamental à jouer dans le processus de révélation des préférences, fait une erreur fondamentale lorsqu’elle se substitue à la responsabilité du politique, que ce soit d’ailleurs volontairement ou involontairement.

Rappelons que l’environnement en particulier, et l’ensemble des valeurs sociales en générales, relèvent de choix politiques. La politique est en principe l’art de révéler des choix. Dans le domaine qui nous concerne ici, il est bien de la compétence du politique d’attacher plus ou moins d’importance à telle ou telle valeur sociale, de valoriser plus ou moins le long terme. Pour reprendre les termes de Mark Blaug (1983) 142 , « aucun résultat du marché ne peut fixer la « bonne » quantité de bien publics. (...) Seule une décision politique issue des urnes peut déterminer la quantité de biens publics qui doit être produite ».

Certes, pour les valeurs d’environnement, le scientifique, écologiste ou économiste, peut être mieux informé sur certains problèmes, et plus sensible à leur gravité. Il est aussi possible, sans que ce soit la règle, que la vision du scientifique soit à plus long terme que la vision politique. Mais cela ne donne au scientifique ni plus, ni moins qu’une responsabilité d’information, éventuellement de mise en garde des décideurs politiques et de l’ensemble des agents économiques sur des dysfonctionnements cachés qui mettent en danger à plus ou moins long terme l’équilibre social, écologique du développement des sociétés. En aucun cas, cette responsabilité d’information ne doit se substituer à la responsabilité d’arbitrage du politique.

Il doit être très clair, donc, que l’économiste ne peut pas apporter au politique des chiffres de coûts environnementaux « objectifs », mais plutôt des ordres de grandeur, des éléments d’information, de repère et d’aide à la décision. C’est tout l’intérêt de la distinction entre valeurs « révélées » qui ont un caractère plus objectif, et les fourchettes de valeurs « potentielles » ou latentes, qui éclairent les enjeux mais qui ne peuvent avoir vocation à converger. Au contraire, c’est l’ampleur de ces fourchettes d’évaluation qui peut permettre au décideur de se positionner en fonction des préférences qu’il veut satisafaire. La détermination d’une politique plus ou moins favorable à l’environnement, à la qualité de la vie, c’est-à-dire la fixation de coûts imputables aux nuisances plus ou moins élevés, en fonction d’hypothèses de valorisation plus ou moins volontaristes, est bien du ressort du choix politique.

Notes
142.

BLAUG, Mark, (1983), La pensée économique, Origine et développement, Economica, p. 709.