1°) L’écosystème patrimonial, seuils critiques et externalités irréversibles : les rendements croissants par stimulation de la demande de protection

Xavier Greffe (1994) 143 propose une présentation intéressante du problème des externalités d’environnement en introduisant les notions d’écosystème patrimonial et de seuil critiques : « Des pollutions, même isolées, relèvent d’un écosystème qui connaît ses propres lois de développement et de destruction. Faute d’être entretenu, la dégradation d’un site peut atteindre un stade irréversible et l’attachement de la collectivité à l’environnement pris dans son ensemble diminuer. A l’inverse, la protection de l’environnement renforce les capacités de lutte contre des dégradations ultérieures et stimule une demande latente de services. Il existe donc des seuils critiques de protection dont le non-respect se révélera dramatique. »

Cette analyse permet de toucher un point fondamental de « déficit théorique » d’une théorie fondée sur l’équilibre d’une offre et une demande d’évitement. Dans la représentation économique classique la consommation croissante de biens environnementaux est freinée « naturellement » par une raréfaction et donc un coût croissant de ces biens environnementaux (coût marchand croissant et/ou coût social croissant). Cependant, lorsque l’on introduit la notion de seuil critique, nous voyons qu’il peut exister des cas où un tel équilibre n’existe plus. Au delà de ce seuil, le désintérêt collectif pour certains biens d’environnement trop dégradés entraîne un état instable qui conduit à leur disparition à terme. Inversement, des politiques d’évitement qui protègent un bien environnemental peuvent entraîner un intérêt croissant pour ce bien dont peuvent profiter les individus. C’est cet intérêt croissant qui peut amener un bénéfice marginal croissant (rendements croissants) à certaines mesures d’évitement.

Jean Jacques Laffont (1977) 144 introduit ce même problème en évoquant une distinction trop peu faite entre externalités réversibles et irréversibles : « il existe une « distinction importante, qui n’a pas été, à notre avis, suffisamment exploitée entre les économies externes « réversibles » qui « apparaissent avec un accroissement de l’output mais disparaissent lorsque par la suite l’output diminue » et les économies externes « irréversibles ». Ces dernières nécessitent une théorie dynamique qui n’est pas faite et qui devrait en particulier justifier en avenir incertain des mesures de politique économique injustifiables dans une théorie statique ».

Nous touchons là le problème de l’hypothèse théorique statique d’existence a priori des préférences sociales des individus. En réalité « dynamique », ces préférences sociales sont fortement dépendantes des niveaux de protection de l’environnement. Certaines externalités peuvent ainsi devenir irréversibles si leur niveau dépasse un certain seuil critique de détérioration. Xavier Greffe montre ainsi dans quelle mesure la politique appropriée n’est pas de viser un équilibre entre dommages et évitement mais de contenir le niveau de nuisances en déca du seuil critique de détérioration : ainsi « les interventions dans le domaine de l’environnement ne se réduisent pas à un simple problème d’effets externes et de correction-compensation ».

Notes
143.

GREFFE X.(1994), Economie des politiques publiques, Dalloz, 546p, pp. 384-388.

144.

LAFFONT, J. J. (1977), Effet externes et théorie économique, monographies du séminaire d’économétrie, éditions du CNRS, p.17.