2°) Cas des transports : les rendements croissants par économies d’échelle des politiques alternatives au transport routier

Il existe des cas, et notamment dans le secteur des transports, où l’évitement global d’un certain nombre de nuisances est préférable et/ou préféré à l’évitement de chaque nuisance prise indépendamment. C’est notamment le cas des politiques de transport collectif, lorsqu’elle ont inspirée par une philosophie d’évitement des nuisances automobiles.

Prenons l’exemple d’un projet d’autoroute traversant une zone résidentielle. Considérons les coûts de pollution, de bruit, d’effet de coupure induits par cette autoroute : il est vrai que plus l’exigence en matière de protection contre le bruit, la pollution, les effets de coupure sera forte, plus les coûts marginaux d’évitement du bruit, de la pollution, des effets de coupure seront élevés (coût d’un revêtement non bruyant, puis coût d’écrans antibruit, puis coût d’un tunnel...). Mais nous raisonnons ici sur un seul mode de transport.

Supposons maintenant qu’en alternative à cette autoroute, se trouve un projet de transport collectif peu nuisant (tramway moderne...), pour lequel le niveau d’investissement public se situe par exemple entre les coûts d’écrans antibruit et les coûts du tunnel autoroutier. Nous voyons qu’au-delà d’une certaine exigence en matière d’évitement des nuisances, le coût collectif d’une orientation de la demande vers les TC sera plus faible que le coût collectif de protection contre les nuisances routières. En fait nous considérons dès lors une telle mesure d’orientation de la demande comme une mesure d’évitement du bruit, de la pollution, de l’insécurité.... Si l’on considère comme probable, ou du moins possible, l’hypothèse de rendements marginaux croissants dans les transports collectifs (voyageurs ou marchandises), on constate alors la possibilité de rendements marginaux croissants dans l’évitement des nuisances.

Une telle possibilité de rendements croissants de l’évitement global du trafic routier semble proche de la réalité, lorsque l’on considère « l’effet réseau » dont bénéficient les transports collectifs (voyageurs et marchandises) : en effet, les différentes lignes d’un réseau génèrent chacune des effets positifs les unes sur les autres : plus le réseau est dense, ramifié, doté de fréquences de circulation importantes, plus il en est attractif, performant ; tout accroissement quantitatif de l’offre destiné à suivre la demande entraîne de facto une amélioration qualitative, ce qui signifie, à niveau qualitatif d’offre constant, des rendements d’échelle considérables. En ce qui concerne les transports ferroviaires, de nombreux travaux (Brautetigam, 1984 145  ; Dogson, 1989 146 et 1993 147  ; Keeler, 1983 148  ; Grimm et Harris, 1983 149  ; et Keaton, 1991 150  ; cités par Nash et Preston, 1993 151 ) tendent à confirmer l’existence de rendements moyens croissants en fonction des densités des trafics ferroviaires, particulièrement significatifs lorsque l’on se place à niveau de service constant.

Les impacts des transports collectifs sur l’urbanisme et l’organisation spatiale des systèmes de production tendent aussi à confirmer cette hypothèse de rendements croissants : plus les transports collectifs sont développés, plus ils encouragent un développement spatial qui leur est favorable.

Illustrons ce phénomène à travers deux exemples relatifs au transports de personnes, et aux transports de marchandises. Considérons deux villes A et B, reliées par une voie ferrée conventionnée par C (Région, Etat...). Supposons que pour une exigence en matière de qualité de l’environnement faible, seule A, B, ou C décide de favoriser la mobilité TC. Agissant seule, cette politique sera coûteuse (matériels TC rares et chers, industrie TC monopolistique) pour un résultat d’évitement des nuisances faible (attractivité faible du fait de mauvaises connexions entre les différents réseaux). Supposons maintenant que pour une exigence en matière de qualité de l’environnement forte, A, B et C agissent de façon coordonnée. Une telle coordination des politique sera non seulement moins coûteuse (matériels TC construits en plus grande série, industrie TC concurrentielle), mais aussi plus efficace (attractivité forte du fait de bonnes connexions entre les offres urbaines de A et B, et interurbaines de C).

A l’inverse, les phénomènes dynamiques de localisation spatiale des activités et des hommes, ne font qu’accentuer la structure croissante des rendements marginaux des politiques de transports publics (en effet, plus l’exigence pour la qualité de l’environnement est faible, plus le phénomène de dilution urbaine est favorisé, et plus les coûts des transports publics sont élevés).

On retrouve cette même dynamique dans les transports de marchandises : considérons deux pays A et B, reliés par voie ferrée. De la même manière que précédemment, si l’exigence pour la qualité de l’environnement est faible, et A ou B décide seul de favoriser le transport de marchandises par voie ferrée, le coût d’une telle politique sera élevé pour une efficacité moindre. Par contre, pour une exigence pour la qualité de l’environnement forte, une politique coordonnée entre A et B sera beaucoup moins coûteuse et plus efficace (pour des raisons équivalentes au transport de voyageurs).

On constate donc que plus l’exigence pour la qualité de l’environnement est forte (dominante), plus le coût de satisfaction de cette exigence est réduit. Le coût d’évitement de la mobilité routière semble donc bien présenter une zone de rendements marginaux croissants.

Notes
145.

BRAUTIGAM R.R., DAUGHETY A.F., TURNQUIST M.A., A Firm Specific Analysis of Economics of in the US Railroad Industry, in Journal of Industrial Economics, 23, 1, 3-20, 1984.

146.

DOGSON J.S, Privatising Britain's Railways : Lessons from the Past ?, University of Liverpool,in Discussion Paper in Economics, n°59, 1989.

147.

DOGSON J.S. Raiway Privatisation, dans BISHOP M., KAY J., MAYER C. and THOMPSON D. (Eds), Privatisation and Regulation II, Oxford University Press, 1993.

148.

KEELER TE, Railroads, Freight and Public policy, Brookings Institution, Washington DC, 1983.

149.

GRIMM C.M., HARRIS R.G., Structural Economics of the US Rail Freight Industry : Concepts, Evidence and Mergers, in Transportation Research, 17A, 4, 217-281, 1983.

150.

KEATON M.H., Economies of density and Service Levels on US Railroads : an Experimental Analysis,in Logistics and Transportation Review, 26, 3, 211-227, 1991.

151.

NASH C.A., PRESTON J., La privatisation des chemins de fer : Royaume-Uni, table ronde CEMT, PARIS, 1993.