III3.1 Les limites d’un principe de rationalité utilitariste ou l’insuffisance de l’individualisme méthodologique dans l’analyse des effets externes

Les limites du marché de l’évitement que nous avons de présentées en section précédente sont en fait directement liées à la trop grande simplicité d’une analyse économique en termes de coûts : suivant le principe de rationalité utilitariste et de méthodologie individualiste, une telle analyse se fonde en effet sur la nécessité d’optimiser des outputs (allocation des ressources) en fonction d’inputs (facteurs de production et fonctions de préférences des individus).

En fait, considérer par exemple les interactions entre société et environnement de façon unidirectionnelle en termes de coûts, qu’il s’agit de prendre en compte, d’optimiser, et d’internaliser, ne permet pas de voir que ces interactions représentent une boucle fermée. En effet, si les préférences pour l’environnement sont une contrainte pour le développement économique, ces préférences n’existent pas en soi, elles sont aussi extrêmement dépendantes des caractéristiques économiques et sociales de ce développement économique.

Prenons par exemple la question du coût de la mobilité automobile. Cette mobilité est-elle subventionnée ? Peut-on croire que l’on peut avoir une légitimité scientifique en avançant que l’automobile ne paye globalement pas ses coûts d’environnement ? On pourra toujours objecter, en adoptant les hypothèses adéquates, que l’automobile est déjà lourdement taxée, que le bien être tiré de l’automobile couvre largement les coûts... Se cantonnant à un problème de coûts, l’analyse économique peut conduire à des débats largement stériles, conduisant soit à se fonder sur la préservation d’un « état de nature » qui n’existe pas (puisque la nature est en mutation et en réorganisation permanente), soit à avaliser la situation présente. Restant aux conséquences sur l’environnement de la mobilité (coûts externes), elle ne fait qu’une partie du chemin analytique.

L’analyse en termes d’inputs existants a priori qu’il s’agit d’internaliser ne permet pas de considérer les interactions existantes entre les préférences pour l’environnement et la demande de mobilité. Cette demande de mobilité peut être augmentée si l’accès à un développement de qualité nécessite une fuite des centre-villes pollués. Comme nous l’a montré Xavier Greffe, les préférences pour l’environnement peuvent être amoindries si un environnement de qualité devient toujours plus inaccessible. Les structures qui façonnent l’environnement des individus sont certes élaborées par ces individus. Mais ces structures, et les institutions qui les encadrent, possèdent aussi intrinsèquement leur caractère émergent, caractère qui peut influencer à son tour les préférences des individus.

Ces points permettent de comprendre pourquoi le caractère statique de l’analyse des coûts externes sur un marché fictif de l’évitement peut donner une vision complètement erronée de la réalité, en passant à coté de phénomènes dynamiques déterminants. La construction du marché de l’évitement conduit à définir le développement soutenable comme un compromis entre environnement et développement économique, que l’on peut aussi représenter de la façon suivante :

C’est cette distinction même entre environnement et développement économique qui est insatisfaisante. En posant comme conception préalable l’idée que le respect de l’environnement est une contrainte qui doit nécessairement s’accompagner de sacrifices d’utilité, elle nie la possibilité d’un développement économique qui pourrait offrir une utilité supérieure du fait même du respect de l’environnement, comme représenté de façon suivante :