III3.3 Quel cadre d’analyse théorique pour les effets externes ?

Le concept de coût externe, fondé sur un raisonnement unidimensionnel sur le critère « valeur monétaire », interprète la réalité par un ensemble d’offres et de demandes à optimiser. Par la suite, il faut constater l’impossibilité d’évaluer « objectivement » toutes les externalités. La démarche de valorisation des coûts externes conduit alors à renoncer à l’idée d’existence d’une allocation décentralisée optimale des ressources en passant des évaluations directes des dommages (méthodes « objectives ») à une démarche indirecte (méthodes « subjectives »).

Comme le précise Guy Terny (1971) 155 en ce qui concerne la production de services collectifs : Les économistes « se voient dans l’obligation de renoncer partiellement à leur ambition suprême, l’optimum parétien », et de rechercher « les décisions « les moins mauvaises ». (...) En tout état de cause, le résultat obtenu (...) ne saurait être, dans cette optique de la théorie pure des consommations collectives, qu’un optimum de second ou de nième rang ».

Le résultat obtenu est aussi caractérisé par une grande dépendance aux hypothèses adoptées, elles même très dépendantes des économistes qui les formulent, comme le précise Christian Stoffaes (1993) 156  : « Il n’y a pas de vérité en économie de l’environnement. (...) L’économie ne saurait être ni entièrement désintéressée, ni totalement objective et les économistes peuvent apporter des réponses différentes selon leur expérience et les institutions qu’ils représentent ».

Une telle dérive pose cependant un certain nombre de questions :

Guy Terny (1971) 157 nous aide à bien comprendre le problème des limites de la « subjectivité » de l’économiste des bien non marchands. En fait, la théorie économique (notamment la théorie des effets externes), fondée sur une approche individualiste, « est une théorie normative, qui se propose tout à la fois de définir le but vers lequel devrait tendre le fonctionnement d’un système économique quel qu’il soit, d’élaborer certains schémas de référence et de forger des instruments d’analyse conformes à une certaine conception de l’homme et de la vie en société. Mais il est évident que cette théorie normative n’a jamais, de par son objet et sa nature, voulu être l’expression formalisée de l’organisation et du fonctionnement effectif des groupes et des Etats ».

L’analyse économique, en voulant masquer son inévitable aspect normatif, est à l’origine de graves malentendus sur les problèmes de politiques de l’environnement et de coûts externes : malentendus entre économistes, mais aussi entre économistes et décideurs politiques. La croyance de progrès possibles dans des évaluations économiques qui pourraient converger vers des valeurs toujours plus pertinentes n’en est pas des moindres. Ainsi, il existe un décalage criant entre les potentialités des évaluations monétaires de l’environnement et ce que les décideurs politiques en attendent.

En effet, un consensus existe ainsi dans les milieux politiques et économiques sur la nécessité d’internaliser les coûts externes, et notamment dans les transports. Tout le monde est favorable à l’internalisation des coûts externes, mais dans la mesure où les économistes et scientifiques de l’écologie apportent la preuve du coût des dommages, par « une » monétarisation indiscutable. L’enjeu actuel ne serait donc que de progresser dans les méthodes d’évaluation monétaire, jusqu’à arriver à des évaluations de coûts externes convergentes vers des valeurs suffisamment « objectives » pour être internalisées : le cadre scientifique serait alors suffisant pour régler le problème de l’internalisation.

De telles considérations reposent cependant sur un grave malentendu à propos d’une monétarisation qui pourrait être « objective ». Contraint par la force des choses à analyser les interactions entre société et environnement par un concept d’externalité finalement « normatif », l’économiste reste ambigu. Laissant croire qu’il peut apporter des réponses scientifiques et « objectives » au problème complexe des externalités, il perd de son crédit auprès du monde politique et social, alors même que le besoin d’économie est criant.

Ce principe de l’économie publique consiste à appliquer les principes de l’allocation optimale des ressources bien que certaines conditions nécessaire à leur application ne soient pas remplies : l’optimum résultant d’une telle application est ainsi appelé « optimum de second rang ». C’est effectivement souvent, voire toujours le cas, dans la mesure ou la réalité ne correspond jamais aux conditions restrictives de la théorie. Pourtant, comme le montre Xavier Greffe (1994) 158 , il suffit qu’une seule des conditions nécessaires à l’existence d’un optimum de Pareto ne soit pas remplie pour rendre invalide toute application des principes d’allocation des ressources. C’est tout le paradoxe de l’économie publique, fondée sur des principes théoriques rigoureux, mais contraint par la force des choses à adopter une démarche pragmatique de second rang, qui n’est plus tout à fait cohérente avec la rigeur du modèle marginaliste initial.

Notes
155.

TERNY, Guy (1971), Economie des services collectifs et de la dépense publique, Dunod.

156.

Commissariat général du plan (1993), L’économie face à l’écologie, rapport du groupe présidé par C. STOFFAES, La découverte, La Documentation Française.

157.

TERNY, Guy (1971), Economie des services collectifs et de la dépense publique, Dunod, p.374.

158.

GREFFE Xavier (1994), Economie des politiques publiques, Dalloz, 546p, pp. 65-68.