I1.1 Le holisme de l’approche sociologique de Durkheim face aux insuffisances de l’individualisme méthodologique

On trouve dans la définition du holisme méthodologique chez Durkheim deux éléments fondamentaux (Aron, 1967) 170  :

‘1/ « un tout n’est pas identique à la somme des parties, il est quelque chose d’autre dont les propriétés diffèrent de celles que présentent les parties dont il est composé. (...) En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuelles donnent naissance à un être, psychique si l’on veut, mais qui constitue une individualité psychique d’un genre nouveau. » 171
2/ « Est fait social toute manière de faire susceptible de d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure. »’

Notons que ces deux éléments sont liés, dans la mesure où ce sont les émergences induites par l’agrégation des individus en société qui peuvent exercer sur ces individus une contrainte extérieure. Selon Durkheim, l’analyse sociologique doit ainsi se focaliser sur ces émergences qualifiées de « faits sociaux », plutôt que chez les individus : « C’est donc dans la nature de cette individualité, non dans ses composantes, qu’il faut aller chercher les causes prochaines et déterminantes des faits qui s’y produisent. Le groupe pense, sent, agit tout autrement que ne feraient les membres s’ils étaient isolés. Si donc on part de ces derniers, on ne pourra rien comprendre à ce qui se passe dans le groupe. » 172

Notons que cette définition amène Durkheim à considérer « le fait économique comme un fait social dans la mesure où il prend un caractère moral et où il revêt une forme institutionnelle » (Gislain, J.J., Steiner, P. 1995) 173 .Effectivement, « Durkheim dénonce le caractère réducteur de l’économie politique (aujourd’hui socio-économie) en lui reprochant d’éliminer à tort les dimensions morales et sociales. Il met l’accent sur la grande erreur économique qui consiste à réduire la société à n’être qu’une simple juxtaposition d’individus » 174 . Nous remarquons que, si la frontière entre les approches méthodologiques dominantes en économie (individualisme) et en sociologie (holisme) semble claire, la frontière entre les champs respectifs d’investigation des deux disciplines l’est beaucoup moins. L’économie politique, ou socio-économie, est ainsi au croisement des analyses économiques et sociologiques. En ce qui concerne notre champ d’investigation, nous pouvons notamment constater « la perméabilité de l’économie et de la sociologie sur l’étude des effets externes » (Delvert, 1994) 175 .

Face aux limites de la socio-économie, présentées en première partie, la méthode sociologique a ainsi inspiré un courant d’approches diverses mais ayant en commun le rejet de l’individualisme méthodologique de l’analyse socio-économique. Ce courant du début du siècle est analysé par Jean Jacques Gislain et Philippe Steiner (1995) 176 au travers des contributions de Emile Durkheim, Vilfredo Pareto, Joseph Shumpeter, François Simiand, Thorstein Veblen, et Max Weber, et regroupé sous l’appellation de « sociologie économique ». Selon Gislain et Steiner, la « sociologie économique » a été conçue par certains sociologues et économistes « comme un élargissement et un apport de la perspective sociologique à la théorie économique. En raison d’une insatisfaction ressentie par les économistes comme par les sociologues, la sociologie économique critique certaines limites de l’économie politique (aujourd’hui « socio-économie ») de façon à enrichir la théorie économique en prenant en compte des phénomènes négligés ou imparfaitement étudiés jusque-là » 177 . La sociologie économique est notamment amenée à l’analyse des institutions dans l’action économique. On peut ainsi classer dans la sociologie économique les approches de l’ancien institutionnalisme que nous présentons ci-dessous.

Notes
170.

DURKHEIM, Emile (1895), Les règles de la méthode sociologique, p. 102, cité par ARON, Raymond (1967), Les étapes de la pensée sociologique, Editions Gallimard, p. 371-372.

171.

Cet élément est repris par Edgar Morin (1980), qui précise que « le postulat implicite ou explicite de toute sociologie humaine est que la société ne saurait être considérée comme la somme des individus qui la composent, mais constitue une entité dotée de qualités spécifiques ». La méthode 1. La nature de la nature, Seuil, p. 107.

172.

DURKHEIM, op. cit., p. 372.

173.

GISLAIN, J.J., STEINER, P. (1995), La sociologie économique, 1890-1920, puf, p.50.

174.

Op. cit., p. 34.

175.

DELVERT, Karine (1994), Archéologie des effets externes, mémoire de maîtrise d’analyse économique sous la direction d’Yves Crozet, Université Lumière Lyon2, p. 64.

176.

GISLAIN, J.J., STEINER, P. (1995), La sociologie économique, 1890-1920, puf, p.14.

177.

Op. cit., p.14.