I1.3 Holisme intermédiaire, interactionisme ou individualisme weberien

Finalement, nous constatons à propos des problèmes de coordination des actions individuelles, que si le débat entre méthodologie individualiste et holiste est toujours d’actualité, il pèche par excès de simplification. Boudon, Bourricaud (1982) 184 précisent ainsi comment « les meilleurs sociologues dépassent l’opposition holisme/individualisme. Ainsi Tocqueville, comme Marx dans nombre de ses analyses, considère que les structures sociales déterminent non le comportement des acteurs, mais les contraintes délimitant et structurant leur champ d’action. (...) En outre, le comportement des acteurs pouvant affecter les « structures sociales », il résulte souvent des modèles complexes d’action (...) une relation de causalité circulaire entre les « structures » et les actions individuelles qui interdit par principe de considérer les « structures » comme « premières » dans l’ordre d’explication. »

Et finalement, comme le précise Eric Brousseau (1995) 185 , « les économistes sont de plus en plus nombreux à tenter l’intégration de ces points de vue opposés pour mieux comprendre la dialectique qui unit comportements individuels et dispositifs collectifs de coordination ». Pour Bertrand Munier (1995) 186 notamment, la vision de l’organisation qui découle d’une approche ouverte sur l’acquisition de connaissances, la mémorisation et le traitement des informations sur la formation de la rationalité des individus « n’est ni holiste ni individuelle, mais « interactionniste ». ».

Les termes de holisme intermédiaire, d’interactionnisme, ne nous ramènent-ils pas à Max Weber qui adopte un individualisme méthodologique tout en prenant ses distances vis-à-vis de l’axiome utilitariste ? Si l’individu est supposé rationnel, cela « ne signifie nullement pour Weber que les acteurs (agents) sociaux sont tous, toujours et partout, pourvus d’une échelle de préférence explicite, qu’ils disposent d’une information complète et d’une maîtrise parfaite de leurs ressources et leurs environnements, ni que la somme ou la résultante des actions individuelles satisfasse aux exigences de la rationalité collective. Le « rationalisme » sociologique de Weber consiste simplement à supposer que le sens de nos actions se détermine par rapport à nos intentions et par rapport à nos attentes, concernant les attentions et les attentes des autres. » 187

Max Weber s’intéresse à l’action sociale à travers le sens que lui attachent les acteurs. « Tel que l’entend Weber, la sociologie est une discipline interprétative (deutend verstehen). » 188 Cette interprétation se construit à partir de la notion de « type idéal » qui désigne les conceptions construites par les sociologues pour représenter et étudier sociétés et faits sociaux. L’objectif de la sociologie selon Max Weber « n’est ni de construire une théorie, ni de recourir à une série de concepts interprétatifs lourds, mais de proposer un schéma interprétatif ouvert auquel on peut adhérer dans la mesure où l’on admet ses présupposés » 189 .

Mais l’approche weberienne repose aussi « sur un double refus d’un conditionnement radical ou d’une liberté absolue. Il n’y a pas de contrainte et de structure indépendamment de l’intention et de l’action d’un sujet, mais l’explication de l’action d’un sujet passe par la mise en évidence de ces contraintes et de ces structures » 190 . Weber est fondamentalement attaché à un individualisme méthodologique, c’est-à-dire que pour lui, la vie sociale est constituée d’actions individuelles. Cependant, à la différence d’individualistes idéalistes, il conçoit le caractère « émergent » des faits sociaux. « Weber établit ainsi « une distinction très claire entre les intentions et les motivations des acteurs d’une part, et l’effet agrégé de leur action au plan social et culturel d’autre part. (...) La « sociologie compréhensive » de Weber « n’est donc en aucune façon un psychologisme qui réduirait les conduites sociales « sens subjectif » que lui attribuent les acteurs. Elle est mieux définie comme un effort pour saisir les processus de combinaison et de composition à partir desquels émergent types sociaux et individualités historiques » 191 .

En ce qui nous concerne, nous adopterons une méthodologie que l’on peut appeler « holisme intermédiaire », « interactionnisme », ou « individualisme méthodologique weberien ». Notre démarche suivra un individualisme méthodologique dans la mesure où nous garderons le principe de la recherche des satisfactions individuelles, mais en introduisant chez l’individu une double fonction de préférence. Elle aura cependant aussi un caractère holiste :

Notes
184.

BOUDON, R., BOURRICAUD, F. (1982), Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, p. 198.

185.

BROUSSEAU, Eric (1995), De la science du marché à l’analyse économique des formes de coordination, in Les Cahiers Français, Les nouvelles théories économiques, De nouvelles perspectives, n°272, 07-09/1995.

186.

MUNIER, Bertrand (1995), Décision et cognition in Les Cahiers Français, Les nouvelles théories économiques, De nouvelles perspectives, n°272, 07-09/1995.

187.

BOUDON, R., BOURRICAUD, F. (1982), Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, p. 620.

188.

Boudon, Bourricaud, Op. Cit.

189.

BOUDON, R. (1984), La place du désordre. Critique des théories du changement social, Paris, Puf, pp.208-209 et 220 (cité par REMY, Jean (1994), 8 Max Weber, in Histoire de la pensée sociologique, Cursus, p. 156.).

190.

HIRSCHORN, M. (1988), Max Weber et la sociologie française, Paris, L’Harmattan (cité par REMY, Jean (1994), 8 Max Weber, in Histoire de la pensée sociologique, Cursus, p. 141.)

191.

BOUDON, R., BOURRICAUD, F. (1982), Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, p. 621.