I3.1 L’anomie, ou l’intuition géniale des fondateurs de la sociologie

L’anomie est « l’un des concepts les plus couramment employés de la sociologie. Mais son contenu varie considérablement d’un auteur à un autre. » précisent Boudon et Bourricaud (1982) 218 , qui ajoutent : « peut-être l’anomie est-elle à la sociologie non marxiste ce que l’aliénation est à la sociologie marxiste : aliénation et anomie décrivent, dans deux cadres théoriques différents, l’idée d’un dérèglement fondamental des relations entre l’individu et sa société ». Les deux termes se rapportent en effet au même problème selon lequel l’individu, au sein de sociétés modernes toujours plus complexes, a de plus en plus de mal à trouver un sens à son existence. Mais l’adoption du terme d’aliénation risquerait d’introduire des malentendus dans notre propos. Même s’il fut utilisé à l’origine par Rousseau à propos du contrat social, le concept d’aliénation est aujourd’hui fortement marqué par l’idéologie marxiste de lutte des classes (aliénation du travailleur à la société capitaliste) et par son usage abusif comme concept plaqué sur les individus de façon transcendante par le sociologue (de la même façon que le concept d’utilité est plaqué de façon transcendante sur l’individu par l’économiste).

Nous lui préférons donc le concept d’anomie, que nous comprenons dans le sens de désintégration sociale, c’est-à-dire de désagrégation du lien entre l’individu et les structures et institutions collectives. Nous allons voir que ce concept d’anomie, thème fort de l’analyse de Durkheim, a été également au coeur des écrits de Tocqueville sur la démocratie, et dans une certaine mesure a inquiété aussi Max Weber.

Notes
218.

BOUDON, R., BOURRICAUD, F. (1982), Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, p. 20.