1°) La dominance du marché comme moyen de satisfactions

Nous avons vu que les besoins sociaux ne pouvaient pas (par définition) être satisfaits par le marché. Cette insuffisance du marché n’est pas en soi un problème si le marché n’est qu’un moyen parmi d’autres de satisfaction des besoins des individus. Mais lorsque le marché devient le moyen dominant, le risque est grand que l’ensemble des préférences non marchandes se retrouve sans domaine d’expression et de satisfaction. C’est ainsi que Dobb (1933) 231 insiste sur la tendance de la volonté individuelle à se dénaturer dans une société de consommation. Pour Richard Norgaard (1994) 232 également, la société de consommation encourage l’individualisme et appauvrit les modes de pensée des individus : « Our fossil-fuel driven economy has not simply transformed the environment, it has selected for individualist, materialist values... Our ability to perceive and resolve environmental problems within the dominant modes of valuing, thinking, and organizing is severly constrained. » Face à l’environnement, une telle évolution est redoutable.

Eberhard Seidel (1994) 233 voit en effet dans cette logique de société de consommation un véritable moteur de la dégradation de l’environnement par l’homme. Le système de concurrence capitaliste porte en son essence même une incitation croissante à la consommation matérielle, c’est-à-dire à une destruction croissante du milieu naturel, ceci par le développement de la publicité, des modes, de produits dont la durée de vie est artificiellement réduite pour encourager une consommation fréquente... Selon Eberhard Seidel, la dynamique sociale qui accompagne une telle évolution économique conduit à inciter encore plus la consommation matérielle, par développement d’un certain modèle auquel tout le monde aspire : les revendications sociales se réduisent ainsi de plus en plus à des revendications de pouvoir d’achat (nous retrouvons la critique de Durkheim sur le socialisme marxiste qui limite la dimension sociale à un problème de répartition des richesses (Aron, 1967) 234 ). Le bien être social est ainsi de plus en plus mesuré en fonction de la quantité de biens de consommations à disposition.

Notes
231.

DOBB, (1933), Economic Theory and the Problems of a Socialist Economy, in Economic Journal, vol.43, décembre 1933, cité par ARROW op. cit.

232.

NORGAARD, Richard (1994), The Coevolution of Economic and Environmental Systems and the Emergence of Unsustainability, in evolutionary Concepts in Contemporary Economics, edited by Richard England. Ann arbor : University of Michigan Press.

233.

SEIDEL, Eberhard (1994), Ökologische Anforderungen und Marktwirtschaft- 12 Thesen, Universität Siegen.

234.

ARON, Raymond (1967), Les étapes de la pensée sociologique, Editions Gallimard, pp. 372-388.