4°) Les « bonnes raisons » de choisir Tocqueville contre Saint Simon

Saint Simon n’accorde à la liberté qu’une valeur instrumentale. Pour lui, en effet, l’individu est subordonné à l’impératif d’un « but d’activité » : « Saint Simon tourne en dérision l’idée que la liberté serait le but de toute association humaine : celle-ci est régie par un « but d’activité ». La liberté ne se définit, en chaque temps, qu’en fonction de ce but ; il est premier ; elle n’est que la faculté de s’adonner à sa poursuite » (Lefort, 1986) 307 .

Le postulat de l’indétermination de ces « buts d’activité » nous amène à préférer la définition de la liberté de Amartya Sen (1993) 308 . Pour ce dernier, au contraire de Saint Simon, « l’avantage serait mieux représenté par la liberté dont dispose l’individu, et non (ou du moins pas entièrement) par ce qu’il accomplit (...) grâce à cette liberté. (...) La liberté peut être jugée précieuse non seulement parce qu’elle permet d’accomplir des choses, mais aussi de par sa propre importance, au-delà de la valeur de l’état d’existence réellement atteint ». Chacun peut ainsi trouver ses « bonnes raisons » pour accorder à la liberté et à la citoyenneté une valeur propre.

Pour ce qui nous concerne, les avantages de l’internalisation (définie comme participation des citoyens aux conflits sur les structures et institutions collectives) que nous avons repérés en termes de liberté et d’intégration, représentent de « bonnes raisons » suffisantes à nos yeux pour choisir Tocqueville contre Saint Simon. La socialisation et la liberté deviennent ainsi les valeurs sociales par excellence. Valeurs suivant lesquelles les « leaders éclairés », la « puissance paternelle tutélaire », acceptent de soumettre leurs décisions au jugement des citoyens considérés comme adultes et responsables. Si l’on adopte le principe d’internalisation des valeurs sociales comme choix premier, la décision rationnelle en situation d’indétermination ne sera autre que celle tranchée par un appel à la participation, à l’expression et au jugement des citoyens.

Notes
307.

LEFORT, Claude (1986), Essais sur le politique, Paris, Seuil, p. 208.

308.

SEN, Amartya (1993), Ethique et économie, PUF, pp. 46, 57.