II2.3 Choix de l’internalisation et conceptions de la démocratie

1°) Internalisation, participation et démocratie modeste

Lorsque l’on constate le relatif échec de la rationalité sur les objectifs en matière de recherche sur les préférences collectives, on constate que le choix de la démocratie représente un choix rationnel obéissant au le principe de rationalité sur les valeurs. La démocratie est ainsi une valeur, fondée sur le postulat que les hommes naissent libres et égaux en droits. Elle est aussi un système politique dérivé de cette valeur, qui s’appuie sur les principes de citoyenneté, d’élection des gouvernants par le peuple, et de contre-pouvoirs. Mais que devient la démocratie si devant la complexité du réel, l’orientation des choix électoraux obéit plus à une logique d’image médiatique de tel ou tel parti ou homme politique plutôt que sur la base d’une véritable réflexion ? Qu’est la démocratie si les élus eux mêmes, et cela aux plus hauts niveaux, n’ont qu’un contrôle dérisoire de leur politique face aux puissances des lobbies et « technostructures » ?

Le choix de l’internalisation des préférences sociales dans la société, dont la valeur est de dimension plus fondamentale que ces préférences sociales en elles-mêmes, correspond à un choix démocratique particulièrement exigeant : le choix d’une démocratie ouverte, flexible, modeste, épanouie ; le choix d’un citoyen à qui on laisse « assumer sa responsabilité pour le destin de la collectivité » (Vaclav Havel) 309 . Ce choix de la démocratie n’est pas un « choix entre l’individuel et le collectif », comme le précise Alain Touraine (1992) 310 , « mais entre la production de la société et sa consommation, entre la liberté et les déterminismes sociaux qui, l’une comme les autres, se manifestent aussi bien au niveau des conduites individuelles qu’à celui de l’action collective ». Cette liberté ne va pas de soi. Elle implique un choix à la fois individuel et collectif :

1/ elle implique une volonté individuelle de participer aux choix de la société, de se dégager des « rôles », des « normes », des « valeurs de l’ordre social ». Et Alain Touraine de poursuivre : « Ce dégagement ne s’opère que par une lutte dont l’objectif est la liberté du Sujet et dont le moyen est le conflit avec l’ordre établi, les comportements attendus et les logiques de pouvoir » 311 . Touraine rejoint en cela Durkheim, qui insiste, dans sa définition de la démocratie, sur l’importance de la participation du citoyen : « un peuple est d’autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l’esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques. Il l’est d’autant moins que l’inconscience, les habitudes inavouées, les sentiments obscurs, les préjugés y sont au contraire prépondérants » 312 .

2/ Elle implique la volonté collective « d’un système politique aussi autonome que possible par rapport à l’Etat d’un côté, aux acteurs de la société civile de l’autre, mais capable de jouer un rôle de médiateur entre deux. Ce système n’est pas seulement défini par un ensemble d’institutions démocratiques, de mécanismes de décisions reconnus comme légitimes ; il correspond à l’ensemble de l’espace public, en particulier à l’influence des médias et aux initiatives des intellectuels » 313 . Un tel système politique doit ainsi être lié à une collectivité pleine d’humilité dans ses choix qui en appelle le plus possible à une participation active des individus (débats, confiance en la responsabilité individuelle, acceptation de la critique, du risque, référendums...). Car comme l’a montré l’expérience risquée du référendum de Maastricht en France, lorsque la collectivité en appelle aux individus pour des choix de société, c’est toute l’activité intellectuelle, médiatique et donc démocratique qui s’en trouve stimulée 314 .

En définitive, la question du choix de la valorisation des préférences individuelles sociales est au coeur d’une alternative fondamentale entre une société solidaire ou individualiste. « Que voulons-nous finalement ? Une économie de consommation, de puissance, de prestige ? (...) Que voulons-nous à travers ces choix ? Quel homme faisons-nous ? voilà la question.  » conclut pour nous Paul Ricoeur (1991). 315

Notes
309.

HAVEL, Vaclav, Le sens de la charte 77.

310.

TOURAINE, Alain (1992), Critique de la modernité, Fayard, pp. 336, 337, 380, 399.

311.

Touraine, p. 336

312.

DURKHEIM, Emile (1950), Lecons de sociologie. Physique des moeurs et du droit, pp.. 107-108, cité par ARON, Raymond (1967), Les étapes de la pensée sociologique, Editions Gallimard, p. 384.

313.

Touraine, p. 399

314.

On peut émettre des réserves sur l’opportunité du référendum sur le traité de Maastricht ; mais on ne peux nier l’impact positif qu’il a eu sur le plan de la réflexion collective.

315.

RICOEUR, Paul (1991), Lectures 1 autour du politique, 412p. Seuil.