1°) « Suivre la nature » : Développement durable et découplage croissance/consommation de ressources naturelles

Selon Seidel 336 , un des points les plus importants qui caractérise la définition d’un développement durable consiste à arriver à un découplage entre croissance économique et croissance de la consommation de ressources non renouvelables (Seidel, 1994). Ce point est fondamental.

D’un côté, on peut en effet observer que l’évolution des sociétés et des économies est nécessairement liée à un phénomène de croissance. L’idée de croissance zéro est ainsi en tous points irréaliste et réductrice, et elle conduit à promouvoir un immobilisme qui « ne conçoit pas la possibilité de nouveaux développements dans l’aventure de la vie et dans l’aventure humaine » 337 (Morin, 1980). D’un autre coté, Eichhorn 338 montre l’impasse à laquelle conduit inévitablement une croissance exponentielle de la consommation des ressources non renouvelables de la planète Terre (Eichhorn, 1993). Richard England (1994) 339 , insiste notamment sur l’impératif de mettre en place des politiques d’économie d’énergie pour trois raisons :

  • repousser le plus loin possible le moment de la pénurie pour avoir le plus possible de technologies de substitution à disposition
  • assurer une transition en douceur vers une société moins gourmande en énergie pour éviter une crise sociale brutale
  • éviter les guerres du pétrole.

En ce qui concerne les transports, « l’évidence scientifique suggère que la tendance (actuelle de la mobilité), prolongée dans le long terme n’est pas soutenable et porte des risques significatifs d’instabilités et de chocs : écologique, économique et socio-politique » (IWW, INFRA, 1995) 340 . Ce qui amène ces chercheurs allemands et suisses à proposer un certain nombre de principes de développement durable (p. 261) :

  • les ressources renouvelables ne doivent pas être utilisées au delà de leur taux de régénération ;
  • les taux d’usage de ressources non-renouvelables et d’émission de polluants non-dégradables doivent baisser exponentiellement si l’on veut assurer des usages/émissions infinis ;
  • le taux de pollutions biodégradables ne doit pas excéder les capacités d’absorption de l’écosystème ;
  • la diversité des systèmes biologiques doit être maintenue.

L’enjeu du découplage est donc bien de concilier le besoin vital de croissance lié à toute société vivante, et le besoin vital d’une gestion parcimonieuse des biens et ressources naturelles. Ces deux impératifs ne sont pas contradictoires, mais ils ne peuvent être compatibles l’un avec l’autre que si la croissance de nos sociétés, et plus concrètement la croissance économique, s’oriente vers un développement plus qualitatif (« consommation » de temps libre, de loisirs, culture, éducation, études...) que quantitatif (consommation de biens de transformation de ressources non renouvelables).

La poursuite de la course en avant dans des technologies « propres » permettrait aussi un tel découplage. Cependant, en asservissant l’individu à un système de production toujours plus complexe, elle ne permet pas d’échapper aux caractères « asservissants » que nous avons mis en relief dans le modèle de développement saint simonien, et conduit à une vision toujours plus restrictive de la démocratie. De telles technologies « propres » sont donc certainement nécessaires, mais elles ne peuvent être suffisantes.

En faisant la distinction opérée entre préférences individuelles sociales ou des citoyens et préférences individuelles marchandes, nous avons décelé une tendance à l’atrophie des premières au profit des secondes. Contre cette atrophie, l’individu doit donc retrouver la capacité de satisfaction de ses besoins sociaux (besoins plus qualitatifs que quantitatifs : qualité de la vie, de la socialisation, sentiment de liberté). Notamment face à la nature, cela peut se traduire par le développement d’une faculté « d’écoute » (observation, relaxation, admiration...) envisagée par Michel Serre (1990) 341 comme une attitude où « notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative ». Michel Serre nous convainc que la notion de relation homme-nature ou homme -environnement est avant toute chose une relation intime et personnelle. La valorisation de l’environnement ne peut venir que d’une « écoute » individuelle de la nature. Nous retrouvons la convergence entre l’écologie du « contrat naturel » (responsabilité de l’homme face à la nature) et l’environnementalisme démocratique (maîtrise des choix par les citoyens) en constatant que cette « écoute » de la nature est le premier maillon d’une chaîne qui permet la valorisation démocratique de l’environnement.

Notes
336.

SEIDEL, Eberhard (1994), Ökologische Anforderungen und Marktwirtschaft- 12 Thesen, Universität Siegen

337.

MORIN, Edgar, (1980), La méthode 2. La vie de la Vie, Seuil, 470p., p. 90.

338.

EICHHORN, Wolfgang (1993), Vorlesung : Ökonomie und Ökologie, Universität Karlsruhe

339.

ENGLAND, Richard W. (1994), Three Reasons for Investing in Fossil Fuel Conservation, in Journal of economic Issues, number 3, sept. 1994.

340.

IWW, INFRA (1995), External Effects of Transport, project for UIC, Paris, pS 3.

341.

SERRE, Michel, (1990), Le contrat naturel, Flamarion, p. 67.