Conclusions du chapitre 2

Les approches classiques des problèmes d’environnement avancent l’idée d’un compromis nécessaire entre efficacité économique et respect de l’environnement. En enrichissant le concept d’internalisation à travers une investigation qui s’inspire de travaux institutionnalistes et sociologiques, nous constatons que l’enjeu est beaucoup plus fondamental. Nous constatons que le deuxième terme du compromis résultant d’une internalisation n’est plus simplement le « respect de l’environnement », mais bien le respect des principes de liberté et de socialisation, conditions d’une conscience individuelle et collective de maîtrise du développement de la société. En découvrant que le principe d’internalisation des valeurs sociales possède intrinsèquement ses valeurs propres (liberté et socialisation), nous comprenons mieux à présent les limites du principe économique d’évaluation/internalisation des valeurs sociales, qui présuppose l’existence préalable de ces valeurs sociales.

En opposant Saint Simon à Tocqueville, nous voyons que le choix de la nature des structures et institutions chargées de répondre aux besoins sociaux a une incidence fondamentale sur la nature de ces besoins sociaux. Notre hypothèse de choix d’internalisation des valeurs sociales nous amène ainsi à refuser la conception du politique selon Saint Simon, qui pose l’hypothèse selon nous erronée d’un « but d’activité » qui serait déterminé, qui surestime la capacité des « experts scientifiques » à maîtriser la science, et enfin qui néglige la valeur de la liberté en tant que telle. L’internalisation des valeurs sociales représente au contraire un choix fondamental sur les moyens de construction des choix collectifs, choix qui en soi est une valeur sociale première. Ce choix prend acte du caractère indéterminé des « fins » sociales et consiste, pour reprendre les termes de Max Weber, à passer d’un principe de « rationalité sur les fins » à un principe de « rationalité sur les valeurs ». Et pour reprendre cette fois-ci les termes de Raymond Boudon, nous voyons bien que peuvent exister de « bonnes raisons » de préférer les valeurs de liberté du citoyen et de socialisation plutôt que les valeurs de « la supériorité de la science ».

Nous déclinons par la suite notre analyse au problème du développement durable en partant de l’alternative d’Edgar Morin entre « asservir/être asservi par » et « suivre/guider » la nature. Nous expliquons pourquoi du fait de la finitude du monde, le choix de l’internalisation, qui correspond au deuxième terme de l’alternative, appelle un principe de responsabilité de l’homme face à la nature. Ce principe consiste en un développement qui respecte les grands équilibres écologiques (« suivre la nature »), par un découplage entre croissance et consommation de ressources non renouvelables, lié à une revalorisation des satisfactions individuelles liées à la nature. C’est ce principe de responsabilité qui permet par la suite l’adoption de choix collectifs diversifiés et flexibles toujours maîtrisables par les citoyens (« guidage collectif de la nature »).

En définitive, la question de l’environnement ne peut ainsi être réduite, loin de là, à une question « physique », « technique », « scientifique ». Plus fondamentalement, c’est une question « d’épanouissement de la vie » comme l’évoque René Passet (1994) 355  : La biosphère pourra toujours « s’autoréguler peut-être, mais les ajustements qui en résulteront se situeront-ils ou non dans les limites extrêmement fines permettant l’épanouissement de la vie ? ». Nous interprétons cette idée « d’épanouissement de la vie » dans un sens large. René Passet nous amène ainsi à comprendre que la science sera toujours en mesure d’assurer la subsistance de l’humanité dans un monde fini. On peut en effet admettre qu’un centralisme technocratique peut conduire à une grande efficacité économique (technologies de pointe, spécialisation à outrance des compétences individuelles, investissements lourds sur des technologies de pointe...), tout en s’adaptant à la rareté des ressources naturelles (course au progrès vers des techniques « propres »). Mais la question est de savoir : dans quelles conditions, au prix de quels sacrifices de liberté, de conscience (individuelle et collective), de quelles désintégrations sociales, au prix de quelles compromissions des idéaux démocratiques et humanistes ?

Notes
355.

PASSET, René (1994), L'aménagement du territoire dans une perspective de développement durable, in Revue d'Economie Régionale et Urbaine, 1994 - n°4.