Chapitre III. Application au secteur des transports

Introduction

Kenneth Button (1993) 356 pose pour nous le défi posé au développement des transports face à l’environnement : « It would be wrong, though, to say that there is a complete scientific agreement on all the physical impacts of transport nor upon the costs wich they impose on society, there simply is not. What does seem to be emerging, however, is a consensus that overall the environnemental damage which is being done by transport is not sustainable if the ecological system is continue functioning and if the society is to continue operating in the way we now understand it ».Le diagnostic préalable au Schéma d’aménagement de la Région Rhône-Alpes Régional (1994) 357 va dans le même sens, et complète remarquablement cette introduction au problème du développement des transports face à l’environnement :

« Les transports routiers ont façonné à notre insu l’aménagement du territoire. L’absence d’une politique dynamique en faveur du rail, l’évolution des entreprises vers les « flux tendus », le mal de vivre en ville et l’absence de maîtrise du prix des terrains qui a poussé les ménages à habiter toujours plus loin de leur lieu de travail, tout cela a créé en quelques années un risque de saturation. On est ainsi engagé dans une fuite en avant vers la construction d’infrastructures routières qui dépasse les moyens financiers de l’Etat et des collectivités territoriales. De plus, le développement massif des transports routiers porte atteinte au calme et à la santé des habitants de plusieurs couloirs de transit et d’une partie des sites urbains, tout en enlaidissant les paysages ». Effectivement, aussi bien en ce qui concerne le transport de marchandises que de voyageurs, la route occupe une place de plus en plus importante.

Pour ce qui concerne le transport de marchandises, l’évolution en Europe est marquée par les points suivants :

  • perspectives de croissance tendancielle du transport routier, accentuées depuis 1986 avec la déréglementation européenne, et depuis 1989 avec la chute des pays communistes ;
  • développement de logistiques et techniques de production adaptées à la souplesse du mode routier ;
  • tendance à une concurrence dure entraînant les coûts du transport routier vers le bas (« dumping social », sous-traitance croissante, réglementation non respectée...) ;
  • extensions importantes des réseaux autoroutiers en France et dans la péninsule ibérique ;
  • évolution structurelle vers une baisse des transports de marchandises lourdes ;
  • baisse régulière des trafics ferroviaires ;
  • déficits croissants des exploitants ferroviaires de marchandises ;
  • progression forte mais encore marginale du transport combiné ;
  • goulet d’étranglement dans le transit alpin et perspectives de développement importantes du transport combiné (ou du moins de la route roulante) vers l’Italie à l’horizon 2010 (projets « pharaoniques » de tunnels ferroviaires de base).

Face à l’environnement, cette évolution structurelle pose problème à deux niveaux : le trafic du transit alpin routier vers l’Italie, ainsi que dans la zone Allemagne-Benelux ou les réseaux autoroutiers sont politiquement difficilement extensibles a atteint les limites de son acceptabilité sociale ; plus globalement, les modélisations des consommations énergétiques et des émissions polluantes futures du trafic routier de marchandises ne permettent pas d’envisager de stabilisation, les projets technologiques étant chaque fois compensés par des moteurs plus puissants, un trafic plus important, et des conditions de circulation qui se dégradent (surconsommation en situation de congestion).

En ce qui concerne l’évolution tendancielle de la mobilité individuelle terrestre en Europe, nous notons les points suivants :

  • croissance des taux de motorisation avec les niveaux de vie ;
  • baisse relative progressive du prix des carburants et des coûts d’usage de l’automobile ;
  • augmentation de la circulation routière ;
  • développement de l’urbanisme périurbain favorable à l’automobile ;
  • stagnation de l’usage des transports collectifs, et baisse progressive de leur part modale (à l’exception d’agglomérations ayant adopté des politiques de transports collectifs adéquates, notamment en Suisse alémanique) ;
  • augmentation des coûts d’exploitation des transports collectifs ;
  • développement et succès des offres ferroviaires à grande vitesse.

Sur le plan de l’environnement, cette évolution est caractérisée par une croissance tendancielle de la consommation énergétique, de certaines émissions polluantes (poussières diesel, CO2...), les progrès technologiques étant compensés par la croissance des trafics, l’augmentation des cylindrées et la hausse des vitesses en interurbain, et la croissance de la congestion en milieu urbain. Mais surtout, cette évolution s’accompagne d’une dégradation tendanciellement croissante de la qualité de vie urbaine (stress, bruit, insécurité, effets de coupure, consommation d’espace). Ces éléments « classiques » étant posés, il s’agit pour nous dans ce dernier chapitre de mettre en relief plus particulièrement les problèmes de divergences de préférences croissantes, ainsi que de désocialisation et de perte de liberté liés à l’externalisation des valeurs sociales.

En considérant dans un premier temps le secteur des transports de façon générale, nous chercherons à mettre en relief des cas de divergence entre choix marchands, publics et préférences des citoyens (Section III1). Par la suite, nous intéressant plus particulièrement au développement de la mobilité urbaine, nous verrons dans quelle mesure l’externalisation des valeurs sociales face au développement de l’automobile est liée à des questions touchant au fondement même de la société. La mise en relief de ces questions nous amènera à déduire les traits caractéristiques d’un modèle de développement urbain durable fondé sur le principe d’internalisation des valeurs sociales telle que nous l’avons définie en chapitre 2 (Section III2). Enfin, revenant au cas plus général des transports, nous verrons dans quelle mesure la participation des citoyens dans l’élaboration des choix d’infrastructures est un élément irremplaçable de l’internalisation (Section III3).

Notes
356.

BUTTON, Kenneth (1993), International Coordination of User Charges and Intercounty Spillover and Externalities, Loughborough University

357.

Conseil Régional Rhône-Alpes, (1994) Rhône-Alpes demain « réinventons la proximité », schéma d'aménagement et de développement, p.36.