III1.1 Divergences entre préférences marchandes, politiques, et choix publics dans la dépendance croissante au transport routier de marchandises

L’évolution du transport routier de marchandises tend vers une marginalisation croissante des modes de transport alternatifs à la route. Les qualités intrinsèques au mode routier expliquent grandement une telle évolution : souplesse d’utilisation, faibles contraintes réglementaires et sociales, dessertes fines des zones de production et de consommation, vitesse du transport... Outre ces qualités intrinsèques, des facteurs politiques ont grandement encouragé le développement du transport routier de marchandises : ambitieux programmes autoroutiers, énergie bon marché, ouverture européenne...

Cette évolution, encouragée, se heurte pourtant à un certain nombre de problèmes :

  • l’acceptabilité sociale des PL sur les autoroutes atteint en de nombreux points ses limites, notamment sur les grands axes de transit et dans les régions alpines ;
  • la baisse progressive des trafics ferroviaires de marchandises alourdit tendanciellement l’endettement des entreprises de chemins de fer européennes 358  ;
  • la croissance des trafics PL entraîne une croissance globale des émissions sonores et atmosphériques non maîtrisables ;
  • enfin, la dépendance croissante à une seule technique de transport présente un risque certain contraire aux principes de diversification d’un développement durable.

Ainsi, selon Maurice Bernadet (1994) 359 , « on peut penser que la croissance du trafic se heurtera inévitablement à une augmentation des coûts, à la fois privés et sociaux, au fur et à mesure que sa part de marché, et le trafic absolu qui lui est confié, deviendront plus importants ». Mais cette croissance des coûts du transport routier s’accompagne parallèlement d’une croissance des coûts des alternatives à ce mode, et notamment du rail, du fait d’une marginalisation croissante. Les structures de la production qui s’adaptent au transport routier, aussi bien dans leur localisation que dans leur logistique, conduisent à renforcer les avantages relatifs du transport routier de marchandises, et à marginaliser encore plus les autres modes. Adopter l’influence des structures sur les choix économiques et sociaux, c’est ainsi reconnaître que, si le développement du mode routier obéit dans certains cas à un choix, dans d’autres cas, c’est l’absence, ou du moins la marginalisation des alternatives, qui impose la route comme seul mode de transport possible.

Le problème peut être interprété en termes de divergence croissante de préférences entre des choix marchands de plus en plus dépendant du transport routier de marchandises pour ses qualités purement économiques, et des préférences des citoyens qui s’opposent de plus en plus à l’envahissement des réseaux routiers par les camions, notamment sur certains grand couloirs de transit, et dans les vallées alpines. Le caractère dynamique d’une dépendance croissante des économies au transport routier de marchandises montre qu’il n’existe pas de partage modal « optimal » entre la route et le rail : la question de savoir à quel niveau la société doit être « dépendante » du transport routier de marchandises est une question indéterminée qui doit être révélée à travers l’acceptation des conflits et leur arbitrage par des choix de compromis politiques entre les légitimes intérêts économiques immédiats, et une opposition sociale croissante aux Poids Lourds tout aussi légitime.

Notes
358.

Selon Maurice Bernadet, "la baisse de trafic des sociétés de chemin de fer se traduit par des surcoûts de deux nature différente : des coûts de conversion, engendrés par la nécessité d'adapter à la baisse le potentiel de production ; des coûts de fonctionnement dans la mesure où cette adaptation est systématiquement en retard sur l'évolution du trafic".

359.

BERNADET, Maurice (1994), Effets externes et avantages sociaux du transport routier de marchandises : quelques remarques au sujet de l'étude financée par l'IRU, LET.