III1.4 Divergences entre préférences marchandes, politiques, et choix publics dans la conception des réseaux d’infrastructure : Le paradoxe du système TGV français

On peut raisonnablement considérer que le système TGV a sauvé le transport ferroviaire de personnes interurbain. Qui aurait cru il y a à peine 20 ans que la Communauté Européenne envisagerait la mise en place d’un réseau ferroviaire de pointe couvrant l’ensemble du vieux continent ? En ce sens, le TGV peut être considéré comme une réussite à la fois industrielle, socio-économique, et financière. Pourtant, cette réussite ne doit pas masquer un effet pervers majeur du système TGV développé en France. Ce système tient en grande partie son succès commercial et financier de l’existence de l’énorme concentration d’hommes et d’activités que constitue la région parisienne. Ainsi, la majeure partie de l’offre TGV financièrement rentable est constituée par les relations Province - Paris. Face à cela, la SNCF, qui doit faire face à des contraintes financières croissantes, concentre logiquement son offre là ou elle est la plus rentable, c’est-à-dire sur des relations de et vers la capitale, au détriment de l’offre à caractère régional.

Cette stratégie de récupération du maximum de surplus économique s’effectue ainsi au travers d’une logique d’offre et de localisation des gares catastrophique sur le plan de l’aménagement du territoire. Pierre Zembri (1992) 363 précise ainsi comment « les axes doublés par une une ligne nouvelle ont été délestés de presque tous les trains rapides à grand parcours dont profitaient les habitants des espaces intermédiaires. (...) Autrement dit, les TGV ont remplacé les trains classiques sans deservir aussi finement les espaces intermédaires ». Ainsi par exemple, à l’ouverture du TGV Méditerranée, les villes moyennes de la vallée du Rhône (Valence, Montélimar, Orange, Avignon...) risquent de voir leurs dessertes considérablement dégradées si des trains régionaux ne prennent pas le relais de dessertes jusqu’alors assurées par les trains Paris - Lyon - Midi. De plus, la logique de construction de gares en rase campagne privilégiant l’accessibilité au TGV en automobile plutôt qu’en transport collectif, porte en elle le risque de développement d’activités en prériphérie des villes au détriment des centres anciens. Le cas de la gare du plateau d’Arbois au nord de Marseille est fort illustratif. D’un coté, existe une volonté politique et sociale forte de réhabiliter le centre de Marseille, en y développant notamment un pôle tertiaire. Pourtant, la réalisation de la gare du plateau d’Arbois, qui se justifie économiquement pour faciliter l’accès automobile au TGV, risque fort de favoriser le développement d’une technopole de type californien sur le plateau d’Arbois, technopole dont la concurrnce pourrait être fatale aux projets de renforcement du centre de Marseille.

Nous voyons là encore comment une stricte adaptation de l’offre à la demande marchande peut conduire à accentuer les déséquilibres territoriaux existants, encourageant des évolutions socio-économiques non souhaitées : le système TGV français se nourrit de la concentration parisienne et contribue à l’encourager. Là encore, nous pouvons repérer un phénomène de divergence entre les choix marchands qui suivent volontairement ou non la logique de concentration parisienne, et les préférences sociales en faveur d’un aménagement du territoire plus équilibré et favorisant le développement des centre-villes.

A titre de comparaison, le système ICE allemand, adapté à un territoire équilibré, n’encourage pas la concentration dans la mesure où il s’intègre dans l’offre globale des dessertes régionales. En outre, la priorité est systématiquement donnée à la desserte des centre-villes pour des raisons évidentes d’aménagement du territoire. Pour ces raisons, le succès marchand de l’ICE est évidemment moindre que celui du TGV français. En outre, l’ICE ne peut s’appuyer sur des axes à très forte concentration de trafics comme les axes qui convergent vers Paris. La logique allemande, (également adoptée dans les développements de la grande vitesse en Italie où les gares TGV sont utilisé clairement comme moyen de revitalisation des centre-villes, et en Espagne), obéit à une préférence sur la satisfaction de préférences sociales et politiques, plutôt que de recherche du surplus marchand maximal de court terme.

Notes
363.

ZEMBRI, Pierre (1992), La gestion des connections entre réseau férré à grande vitesse et le réseau férré classique en Europe : une singulière approche française, LATTS, communication à la 7ème WCTR, Sydney, juillet 1992.