III2.2 L’externalisation des coûts de l’automobile en milieu urbain, versus désintégration sociale par déshumanisation des villes

Alain Bieber, Marie-hélène Massot et Jean-Pierre Orfeuille ont synthétisé le problème de l’avenir de la mobilité en relation avec ses déterminants sociaux, économiques, et techniques dans un rapport d’une rare pertinence (Inrets, 1993) 386 . Leur travail les a amenés à distinguer trois « futuribles » possibles pour la ville, appelés scénarios californien, Rhénan, et Saint Simonien. Nous présentons ainsi ci-après une synthèse de ce travail.

« Le scénario Californien et l’expression d’une culture très libérale dans un environnement sans grandes contraintes d’expansion spatiale ni de désynchronisation des différents temps rythmant tant la vie privée que professionnelle. L’offre foncière et immobilière s’y développe à coût réduits. La conséquence la plus importante de cette facilité de création des urbanisations nouvelles est une assez faible valorisation des patrimoines immobiliers et un étalement urbain à faible densité de population. Ceci entraîne une certain décontraction à l’égard de la politique de conservation de ces patrimoines. L’essentiel des valeurs urbaines est placé dans les nouvelles frontières de l’urbanisation, pas dans les centres. L’accès aux centre-villes y est assuré par de larges voies autoroutières très pénétrantes, tout comme les dessertes inter-banlieue, offrant des voies réservées aux transports collectifs publics et individuels. La congestion peut être traitée par un péage de cordon autour des centre d’affaires ou par des concessions en urbanisation diffuse ; les nouvelles techniques de communication se développent à un rythme soutenu, permettant d’augmenter les désynchronisations.

Le scénario Rhénan est sous-tendu par une vision apaisée du libéralisme, une montée vers les valeurs écologistes, un état de fortes contraintes d’expansion spatiale excluant l’urbanisation massive des zones rurales périphériques et surtout par une tradition urbanistique basée sur l’exploitation intensive des infrastructures existantes. Cette dernière recouvre l’ensemble des pratiques conduisant à réutiliser les parcelles et les terrains publics libérés par l’évolution des quartiers, avec le souci permanent de créer des espaces polyfonctionnels. L’accès aux centre-villes est assuré par des boulevards autoroutiers circulaires avec de vastes parkings d’échange souterrains ; une priorité générale est donnée aux modes collectifs, les transports en site propre de surface se développent tandis que leur coordinations techniques et tarifaires sont largement recherchées. La polyfonctionnalité des espaces rend le trafic interbanlieue moins prégnant. De fortes pressions « écologistes » interviennent pour diminuer la mobilité sur les réseaux périurbains et régionaux, des péages de congestion apparaissent à cette fin sur les dessertes régionales.

Le scénario Saint Simonien repose sur une vision structurante du libéralisme économique, qui place la puissance publique à la source des mécanismes créateurs des plus-values, tant par le biais des grandes infrastructures que par le maintien des rentes foncières aux pôles ainsi créés. Porté par les logiques industrielles, ce scénario privilégie une urbanisation à spécialisation spatiale, un habitat collectif dense loin des centres, les grands ouvrages d’art, le progrès technique. La recherche systématique de vitesses conduit à la construction de grands axes autoroutiers souterrains en couronne urbaine et en surface au delà, à la séparation systématique des trafics, des « péages » sur les voies rapides souterraines sont instaurés à court terme pour les financer ; les transports collectifs en site propre automatique (souterrains) se développent pour l’accès au centre ainsi que l’électrification des systèmes.

A partir des trois attitudes fondamentales évoquées, nous avons dressé un tableau prospectif de leurs conséquences en terme de mobilité quotidienne, qui, rappelons le, n’a pas d’autre vocation que celle d’ouvrir un débat. »

Impacts sur la mobilité quotidienne Scénario californien Scénario rhénan Scénario saint-simonien
Evolution générale La ville est marginalisée par l’extension du rurbain diffus et suburbain Les valeurs écologistes permettent de recréer une ville dense et multipolaire La congestion contrarie le progrès de fluidité et tempère la motorisation. L’investissement doit suivre
Evolution des vitesses L’extension des grandes couronnes permet une croissance légère des vitesses Les impératifs de pollution et de sécurité ont diminuer les vitesses. L’extension des zones de congestion équilibre le progrès technique d’où des vitesses constantes
Evolution des distances Fortes croissances des distances parcourues (USA) Légère décroissance des distances parcourues Légère croissance des distances parcourues
Evolution des budgets-temps Déplacements rares et longs, budget temps légèrement décroissants, désynchronisation En légère croissance car la vitesse décroît plus que les distances Légère croissance des budgets temps
Imprévisibilité croissante
Evolution des contacts matériels Décroissants : modèle du « Cocoon branché » Croissance des déplacements de proximité A peu près constants
Evolution des contacts immatériels En croissance explosive (réseaux immatériels) En croissance faible en raison de la vie locale En forte croissance pour le professionnel

Source INRETS

Notes
386.

INRETS, (1993), Questions vives pour une prospective de la mobilité quotidienne, synthèse Inrets n°19.