1°) La désintégration sociale dans le modèle urbain californien

Le scénario californien de généralisation de l’habitat individuel est lié à un libéralisme où les interventions publiques sont très limitées. L’urbanisme périurbain incontrôlé d’un tel scénario obéit à un individualisme roi. Il est caractérisé par une ségrégation sociale et raciale, qui n’encourage pas les échanges et débats politiques sur des actions collectives, notamment sur l’environnement. La ville comme lieu d’échange, de rencontres, de socialisation disparait, au profit d’espaces de transit. Le contact de l’individu avec l’extérieur passe par la télévision, les campagnes électorales sont médiatisées à l’extrême, et les enjeux politiques sont généralement des enjeux réduits à des questions très éloignées des préoccupations quotidiennes des individus. L’action collective se réduit à la défense d’intérêts communautaires, les liens sociaux intercommunautaires se désagrègent.

Dans ce cadre, les préférences des consammateurs sont hypertrophiées au détriment d’une atrophie des préférences des citoyens. Ceci a pour conséquence d’une part une démocratie minimale où l’Etat a certes un contrôle réduit sur l’individu, mais où l’individu a réciproquement un contrôle réduit sur l’Etat. L’aversion pour toutes les formes d’organisation induit d’autre part des dégradations de l’environnement naturel et social considérables et croissantes. Lié à une consommation de ressources naturelles incontrôlable (espace, énergie, air pur), et à une désintégration de l’individu à la société le scénario californien illustre de façon inquiètante la gravité du problème de l’externalisation des valeurs sociales, dans le sens d’une participation toujours plus faible des individus citoyens aux structures et institutions collectives. Le destin de la société est livré à la régulation marchande, à l’individu consommateur. Le scénario californien pose la question de l’avenir de la démocratie dans un pays qui en a été le berceau.

  • L’urbanisme californien et la disparition du lien social 387
‘« Ca s’appelle Placentia Lakes. Et bien sûr, il n’y a pas de lac. Seulement un océan de maisons identiques, peintes de couleur uniforme et entourées d’un mur d’enceinte. Pour accéder aux villas surveillées par des caméras de télévision, il faudra se présenter à des postes de garde bardés de grilles coulissantes. Les gens qui habitent dans cette lointaine banlieue au sud de Los Angeles ne sont pas des délinquants. Seulement des citoyens qui ont choisi de vivre prisonniers de leurs propres règles.
Placentia Lakes est un CID (Common Interest Developpement), c’est-à-dire un ensemble résidentiel âprement géré et surveillé par la copropriété. Ces îlots de rigueur, ces plaques urbaines, pareilles à des principautés, sclérosent et stérilisent lentement l’Amérique. « En l’an 2000, rapporte Evan Mac Kenzie, professeur de sciences politiques à Chicago et auteur de « Privatopia », ouvrage de référence sur le sujet, 30% des Américains vivront rassemblés, regroupés dans des CID. Cela veut dire que le pays sera segmenté, spatialement découpé en propriétés privées édictant leurs propres lois (...) ».

Notes
387.

DUBOIS, Jean-Paul (1994), Le meilleur des mondes, Le Nouvel Observateur, N°1565, 3 nov. 94, pp. 14-15.