III2.3 Internalisation, liberté et socialisation : le modèle urbain Rhénan, modèle de développement durable ?

Comme le précise Chantal Duchène (1994) 390 que l’on soit dans un modèle de développement de type « californien » ou « St Simonien », l’éclatement des villes est catastrophique pour la vie urbaine : « Cet éclatement de la ville favorise aussi une ségrégation des espaces, non seulement en termes d’activité, mais aussi en termes sociaux. Nous favorisons ainsi la désagrégation sociale, remettant en cause le fondement même de nos villes européennes, lieux de mixité d’activités et de mélange de populations. Ainsi, alors que la route est depuis toujours un moyen de communication, avec le trafic, elle devient un frein à la communication et à la convivialité. Nos villes ainsi étalées s’éparpillent et perdent leur urbanité, alors que la proximité créait des liens et obligeait à la tolérance ».

Le schéma d’aménagement et de développement de la Région Rhône-Alpes (1994) 391 , dresse un état des lieux similaire, et peu reluisant : « Les grandes villes sont confrontées à deux problèmes graves aujourd’hui sans solution évidente : le mal des banlieues, et la circulation automobile. Dans les quartiers hérités de l’urbanisme des années 60 et 70 se concentrent tous les facteurs de ségrégation et d’exclusion de notre société, ainsi que la misère matérielle et morale. Le développement non maîtrisé des déplacements automobiles étouffe peu à peu les espaces urbains et met sérieusement en cause la qualité de la vie en ville par la pollution de l’air, le bruit, les accidents. La vie en ville devient pénible pour les piétons, les enfants, les personnes âgées et handicapées.(...) Dans cette situation difficile et souvent angoissante pour beaucoup, on observe de nombreux réflexes de peur et de repli sur soi. Chaque profession, chaque commune, chaque individu a tendance à se replier sur son pré carré et à renvoyer les responsabilités et les difficultés sur les autres. Certains en arrivent à rejeter toute vie sociale, et à reporter leur peur sur ceux qui ne leur ressemblent pas, ce qui accentue l’exclusion sociale. »

Nous constatons en fait que les deux modèles « californien » et « St Simonien », a priori complètement opposés, se rejoignent lorsque l’on constate à la suite de Tocqueville, Ricoeur, Lefort, Touraine et bien d’autres penseur de la démocratie que de façon tout à fait paradoxale, l’individualisme absolu est intimmement lié à l’Etat absolu.

Finalement, si l’on considère les trois scénarios de l’étude de l’INRETS, seul le scénario Rhénan, tel qu’il est présenté, présente des caractéristique compatibles avec un développement durable pouvant relever le défi de l’internalisation, c’est-à-dire d’un système démocratique favorisant la participation des citoyens. Ainsi, dans ce scénario, « la ville garde une image positive à l’aide d’une quiétude sociale. (...) Le désir de favoriser par tous les moyens les évolutions positives de l’urbanisme par transformation des quartiers sur eux mêmes, conduit à des formes d’habitat excluant les extrêmes : pas de grands ensembles d’habitat collectif, pas de grands lotissements de maisons individuelles. Des formules de petits immeubles collectifs, d’individuels regroupés permettent d’obtenir des densités urbaines assez élevées. Un niveau correct d’équipements de proximité peut être maintenu dans ces quartiers, avec un fort effet bénéfique sur l’utilisation de la marche à pied et des deux-roues. (...) Aucune économie d’échelle n’est favorisée dans le tertiaire sur la base d’une classique externalisation des coûts du transport, le secteur des transports étant progressivement corrigé de son état de sous tarification excessive, tant pour la voiture particulière que pour les transports collectifs » 392 .

Notons la liaison fondamentale entre l’internalisation des coûts sociaux du transport et la recherche d’une « ville des petites distances », ou se développe les lieux de socialisation. La vie sociale est encouragée, « car des structures d’animation locale assez puissantes font durer, plus que dans les autres scénarios, les formes d’animation locale traditionnelles, reposant sur une convivialité classique (...). Des formes originales d’activités de quartier peuvent toutefois être grandement facilitées par le maintien de banlieues structurées et moyennement denses. Des réseaux et des services de proximité peuvent être maintenus à meilleur compte dans ce scénario que dans les deux autres. Un espoir de vie locale peut être entretenu » 393 .

Gerhard Heimerl (1986) 394 évoque aussi le consensus Rhénan en faveur de systèmes de transport collectifs performants sans être inhumains à force de massifications démesurées des flux (RER parisien). « Il est pratiquement impossible, dans les secteurs périurbains à habitat individuel peu dense, de mettre en place un système de transport collectif économique et attractif pour la clientèle. A l’opposé, les centres urbains très concentrés ne sont pensables qu’avec de lourds transports de masse. Ces deux extrêmes ne sont plus - je pense qu’il existe aujourd’hui un consensus là-dessus- envisagés comme idéals vers lesquels il faut tendre ».

Les trois scénarios proposés par l’étude INRETS nous aident ainsi à comprendre dans quelle mesure le problème du développement des transports face à l’environnement, et notamment la qualité de vie urbaine, est un problème de société qui ne saurait être réduit à une simple analyse économique unidimensionnelle de coûts externes à évaluer. Rothengatter évoque la possibilité de progrès techniques dans la conception « d’automobiles propres », qui pourraient éventuellement rendre négligeable l’avantage écologique des transports publics (IWW, INFRA, 1995) 395 . C’est derrière une telle argumentation que se range l’ensemble des groupes de pression qui refusent d’envisager une remise en question des choix en faveur de la route. Mais au delà du simple problème des nuisances purement physiques de l’automobile, c’est plus généralement le problème de la soutenabilité sociale du modèle de société lié à l’automobile qui est posé. La question de la qualité de la vie urbaine (niveau de nuisances, espace de vie disponible, qualité des contacts sociaux, qualité de la vie commerçante, services publics de proximité à disposition...) est une question fondamentalement, essentiellement politique (et aussi littéralement : poly-tis) qui ne peut se réduire à des indicateurs physiques.

Notes
390.

DUCHENE Chantal, 1994, Ville et déplacements : quels enjeux énergétiques et environnementaux, quelles régulations ?, CERTU, contribution au Débat national sur l’Energie et l’Environnement.

391.

Conseil Régional Rhône-Alpes, (1994) Rhône-Alpes demain « réinventons la proximité », schéma d'aménagement et de développement, p.34.

392.

rapport INRETS pp. 57, 69.

393.

rapport INRETS p. 60.

394.

HEIMERL, Gerhard (1986), Die Einbeziehung von Umweltgesichtspunkten in die Planung für den ÖPNV, Verband öffentlicher Verkehrsbetriebe : Jahrestatung'86.

395.

IWW, INFRA (1995), External Effects of Transport, project for UIC, Paris, p. 267.