1°) La citoyenneté, recours contre les « erreurs » de politique des transport

Nous avons vu que des « erreurs » pouvait conduire à un mauvais pilotage politique du système des transport par non prise en considération des préférences sociales des individus. Ainsi, plus les choix sont technocratiques, bureaucratiques, centralisés, plus ce sont les groupes de pression qui prennent la place des décideurs politiques dans les orientations stratégiques. La mainmise des groupes de pression les plus puissants peut aussi conduire à une absence d’orientations stratégiques, que l’on peut qualifier de « non-choix ». Le diagnostic de Dominique Bussereau (1995) 400 , en ce qui concerne la SNCF, est notamment très clair : « en règle générale, j’ai le sentiment que les gouvernements successifs n’ont jamais pris de décisions en matière de transport au vrai sens du terme.(...) Il y a là un dysfonctionnement du rôle d’arbitre de l’Etat. Les collectivités locales ont, elles aussi, une part importante de responsabilité. Car vous voyez des élus qui refusent de payer pour le maintien de lignes déficitaires et manifestent lorsque la SNCF veut fermer une gare dans un village où le maire lui-même n’a pas pris le train depuis vingt ans ».

Face à ces non-choix, pour Lagroye (1992) 401 , la réponse doit être démocratique : « Il faut au contraire mettre le débat sur les transports sur la place publique et que les français arbitrent. (...) L’efficacité, c’est la démocratie. la démocratie véritable, ce sont les débats publics, clairs, sur des choix politiques alternatifs. (...) Il n’y a pas de démocratie sans affrontement. S’il n’y a pas de débat sur des projets, si l’on fonctionne dans une sorte de consensus mou qui est généralement une façon de ne pas poser les problèmes, il n’y a pas de démocratie. (...) La démocratie ne consiste pas à cacher les problèmes, mais à les exposer clairement, pour qu’il y ait des choix, et une responsabilité possible ».

Cette démocratie est aussi un recours contre la dictature des experts en matière de transports, comme l’évoque Serge Penasa (1992) 402  : « A quoi bon dès lors construire de savants modèles d’analyse coûts/avantages pour guider, au nom de l’expertise de l’économiste, la politique de l’environnement si les paramètres de base (valeurs des coûts externes, « taux d’actualisation ») relèvent de la pure métaphysique ou des aspirations spirituelles de l’expert. On peut sans dommage lui préférer la consultation démocratique quand à l’estimation des valeurs et au « taux d’actualisation ». »

Gilbert Carrère (1992) 403 faisant le bilan du grand débat national sur les Transports, arrive aux mêmes conclusions : « Un nouvel effort scientifique, méthodologique, institutionnel, politique est indispensable pour permettre l’exercice plus transparent de la démocratie. Le transport et une activité sociale trop importante pour être abandonnée aux seuls spécialistes. » Concrètement, comme le précise G. Hascoet (1994) 404 , Vice-président du conseil régional chargé des transports et infrastructures cela signifie qu’il faut élaborer les choix politiques « avec l’ensemble des personnes concernées. La position de tel syndicaliste dans une entreprise, le regard de tel patron dans tel secteur d’activité, l’avis de tel usager, méritent autant d’attention que la technocratie d’Etat. »

Le CETUR (1994) 405 , évoquant l’exemple Suisse, met aussi en relief les avantages du référendum d’initiative populaire dans le processus de convergence des choix politiques vers les préférences sociales : « L’épée de Damoclès du référendum d’initiative populaire rend tout projet très vulnérable ». Effectivement, le risque du rejet d’un projet par les populations oblige les techniciens et décideurs à poser clairement les problèmes à résoudre par un projet qui « doit répondre à des besoins multiples et facilement identifiables, (...) apporter substantiellement plus d’avantages que d’inconvénients, (...) valoriser le patrimoine de transport existant et respecter la réglementation sur la protection de l’environnement. (...) L’objectif est simple et clairement identifié : assurer la mobilité par des moyens de transport « propres ». (...) Le référendum, clairement identifié, précédé d’un sain débat, peut être fort utile, pour une approche démocratique de la décision, et une approbation de l’investissement par la population ».

Le CETUR précise alors l’intérêt d’un équilibre à trouver « entre le 100% politique (peu justifiable), le 100% technocratique (plus d’actualité), le 100% démocratique (lourd à manier et peu volontariste et prospectif) ». Un plus grand appel à la démocratie, voire à la démocratie directe, est ainsi indispensable aux choix les plus difficiles, souvent souhaités par la majorité, mais bloqués par des groupes de pression catégoriels. Il ne s’agit pas de tomber dans la démagogie d’une définition « à la base » de choix d’option première de politique des transports. Il s’agit plutôt de voir la citoyenneté comme moyen d’une appropriation par les individus de projets politiques ambitieux, portés par un décideur politique.

Notes
400.

BUSSEREAU, Dominique (1995), député, membre de la commission parlementaire sur la SNCF, « La SNCF est aujourd’hui à un carrefour », interview dans La Vie du Rail, n°2487, 15 au 21 mars 1995.

401.

LAGROYE J. (1992), cours de sciences politiques à l'université Paris 1.

402.

PENASA, Serge (1992), Eléments pour une clarification des politiques d’environnement, Mémoire de DEA d’économie des transports de l’université LYON II, p.92.

403.

CARRERE, Gilbert (1992), Transport destination 2002, Le Débat nationnal

404.

HASCOET, G. (1994), Les options de la région Nord/Pas de Calais, in Se déplacer autrement dans trente ans, Elements pour un débat La documentation Française.

405.

CETUR (1994), Les enjeux des politiques de déplacement dans une stratégie urbaine., p. 351-352, d’après des citations de Philippe BOVY.