3°) Le modèle fédéral de décentralisation des responsabilités

Mais si la qualité des choix publics peut dans de nombreux cas, et notamment pour la valorisation de l’environnement, être enrichie par la démocratie directe, le fonctionnement démocratique ne saurait reposer que sur le référendum. Le fonctionnement démocratique, pour remplir sa mission de valorisation des préférences sociales, doit aussi encourager la citoyenneté par des processus de décisions clairs, responsables, transparents. Le modèle fédéral peut en la matière apporter beaucoup. Il est ainsi défini par le théorème du fédéralisme fiscal de Oates (1972) 414  : « la structure optimale du secteur public est telle qu’il y a un niveau d’autorité (ou un mécanisme de décision collective) pour chaque collectivité relativement à laquelle la consommation d’un bien public doit être définie. Dans ces circonstances, chaque autorité fourni le niveau de consommation qui égalise le coût marginal et la somme des bénéfices marginaux pour la collectivité ». Le théorème de Oates met en avant les avantages du principe de décentralisation de type fédéraliste dans les interventions publiques visant à internaliser les différents coûts externes.

Marcou, Kistenmacher, Clev (1994) 415 , dans une analyse des différences fondamentales entre les systèmes français et allemand de planification régionale remarquent ainsi le caractère interventionniste, centralisé, étatique des processus de décision français. En France, les imbrications complexes des différents niveaux de décision, conduisent à des processus peu transparents pour le citoyen, avec des logiques partenariales de financements croisés des investissements qui diluent la cohérence et surtout la responsabilités des décisions. Les collectivités locales sont « naturellement portées à la concurrence tant en raison des intérêts territoriaux dont elles ont la charge, que des rivalités partisanes qui s’expriment à leur tête. Cette situation rend le partage des responsabilités peu lisible (...). » La divergence entre le citoyen et les décisions publiques est ainsi favorisée.

Le fédéralisme est un rempart contre l’interventionnisme centralisé dans la mesure ou il est lié à un Etat dual, divisé entre Fédération et Länder. Les fonctions respectives de la Fédération et des Länder sont clairement précisées par une Loi Fondamentale : « L’organisation allemande inclut une hiérarchie : celle-ci est définie par la loi fondamentale en ce qui concerne les relations entre la Fédération et les Länder selon les principes du fédéralisme, et les Länder sont compétents pour régler l’organisation des collectivités locales à l’intérieur du Land (...). »

Le concept de fédéralisme, en délimitant ainsi de façon claire les compétences et responsabilités de chaque niveau de décision publique, permet une démocratie plus lisible : le citoyen est encouragé à une démarche plus active et volontariste. Marcou, Kistenmacher, Clev précisent ainsi comment « en Allemagne, la décision paraît plus collective (...). Cela apparaît dans les institutions qui assurent la participation des collectivités locales à la planification régionale, comme dans la politique régionale (...). Ces modes de décision favorisent la participation des organisations économiques, alors que leur rôle paraît en France plus réduit. »

En matière de transport, il ainsi frappant de noter combien le fédéralisme permet aux préférences sociales pour l’environnement d’émerger dans les choix politiques d’investissements, comme l’observe avec une grande acuité Laurent Guihéry (1995) 416  :

« L’observation attentive de l’évolution des différents projets routiers, ferroviaires et fluviaux en Allemagne de l’Est est source de nombreux enseignements. (...) On peut observer vis-à-vis des projets autoroutiers une grande réserve voire de sérieux coups d’arrêt, à la fois du coté des acteurs institutionnels du fédéralisme allemand (Gemeinde, Länder) et auprès des associations de riverains, des mouvements écologistes ou « alternatifs ». Les critiques sur les projets routiers sont d’autant plus vivaces lorsqu’il s’agit d’une nouvelle infrastructure. Par contre, un accord semble se dégager dans le cas de la modernisation ou de l’extension d’une infrastructure existante. En mettant un frein de plus en plus systématique aux grands projets d’infrastructures autoroutières, les Länder est-allemands et les mouvements écologistes se placent dans la position de refus d’extension de la mobilité individuelle : il exprime de ce fait un choix sans ambiguïté pour les formes de transport plus collectif.

« Certes le Gouvernement Fédéral est là pour apporter une réponse globale à la demande de mobilité individuelle sans cesse croissante entre les deux Allemagne, réponse qu’il apporte d’ailleurs dans la planification de nombreux projets autoroutiers. Mais les règles et le fonctionnement du fédéralisme allemand conduisent au fait que ces projets peuvent être soit remis en cause par les gouvernements locaux, soit violemment combattus par les associations locales, les mouvements écologistes, les groupes de pression. Leur poids respectif dans la mécanique fédérale n’est pas à sous-estimer. Les prises de position autour de ces différents projets sont d’abord révélatrices d’un véritable débat démocratique. L’ancrage local de ces débats confirme l’existence d’une forme allemande du contrôle démocratique, élément indispensable selon les principes du fédéralisme fiscal (OATES).

« Ainsi, de façon plus globale, ces prises de position locales s’expriment en fait autour de références collectives qui ne sont pas l’apanage du Bund. Les gouvernements des Länder, des Gemeinde (communes) ou les mouvements écologistes internalisent d’une certaine façon des données collectives telles que la protection de l’environnement, les contraintes liées à l’effet de Serre, la saturation infrastructurelle des espaces urbains, l’orientation future de la société... Ces valeurs ne sont pas les seules préférences du Gouvernement Fédéral ! Le système fédéral allemand intègre étroitement les Länder et les Communes dans la définition de ces différentes valeurs collectives. C’est une des conséquences directes du modèle fédéral allemand, qui repose sur le double principe de coopération entre les niveaux de pouvoir et le principe de subsidiarité. La révélation des choix collectifs de la société allemande s’effectue donc, à la fois au niveau local et au niveau fédéral. »

La dualité de l’Etat liée au fédéralisme est en définitive un élément fondamental. Réduisant la puissance de l’Etat central, cette dualité conduit certes à des processus de décision d’infrastructures de transport beaucoup plus laborieux, mais ce caractère laborieux est une condition de la valorisation de préférences sociales. Il enrichi des décisions de politique des transport qui s’inscrivent dans la durée.

Notes
414.

OATES W. E. (1972), Fiscal Federalism, Harcourt Brace Jovanovitch, New York, cité par GERARD-VARET L.A. (1995), Théorie des incitations et analyse des procédures de la décentralisation, in Problèmes économiques, N°2.406, 11 jan. 1995.

415.

MARCOU G., KISTENMACHER H., CLEV H.G., 1994, L’aménagement du territoire en France et en Allemagne, La documentation française.

416.

GUIHERY, Laurent, Les grandes infrastructures de transport en Allemagne de l’Est. A la reconquête de l’espace allemand, communication présentée à la WCTR, Sydney, Australie, juillet 1995.