Conclusion du chapitre III

Nous avions vu en chapitre I comment l’adoption d’une double fonction de préférence chez l’individu permettait d’éviter l’écueil d’un jugement trop facile en termes d’irrationalité de préférences des citoyens qui seraient en contradiction avec les comportements marchands. Effectivement, dans le secteur des transports, nous mettons bien en relief des divergences évidentes entre, d’un coté, une préférence marchande pour un transport au moindre coût, et, d’un autre coté, des préférences des citoyens en faveur d’un développement maîtrisé de la mobilité des biens et des personnes, ainsi que des infrastructures de transport. L’adoption d’une double fonction de préférences nous permet d’éviter tout jugement de valeur hâtif sur l’une ou l’autre de ces préférences. Elle nous invite à la prudence, face notamment à l’usage abusif du critère de demande marchande de mobilité pour justifier « l’intérêt collectif » de l’extension des réseaux d’infrastructure. Face à cette demande marchande de mobilité existent des préférences des citoyens peut-être contradictoires, mais tout aussi légitimes.

A la fin de notre chapitre I, nous avons mis en relief la similitude entre le concept sociologique d’anomie et le concept économique d’externalisation. Effectivement, en nous intéressant plus particulièrement au secteur des transports urbains, nous montrons que l’externalisation des valeurs sociales dans le développement de la mobilité automobile amène des formes urbaines favorables à l’anomie : disparition des lieux d’échange, de mixité, de rencontre et de convivialité, guettos, ségrégations sociale et raciale. Ces formes urbaines, en encourageant les processus de replis sur soi individualistes et communautaires, amènent une désintégration des liens sociaux entre l’individus et la société. Cette liaison entre formes urbaines façonnées par l’automobile et anomie nous amène dans une définition de la mobilité durable à lier fondamentalement le choix de l’internalisation des valeurs sociales dans le développement urbain au choix d’une forme urbaine plus favorable à la socialisation et à l’exercice de la citoyenneté.

Revenant au cas plus général des choix politiques d’infrastructure de transport, nous montrons à l’aide d’exemples que ces choix ne sont pas exempts « d’erreurs », pour la simple raison empruntée à Tocqueville selon laquelle l’élection ne donne pas au décideur le privilège de la compétence, compétence à faire des choix parfois délicats entre des intérêts contradictoires. Face à ces « erreurs » politiques, le recours à des contre pouvoirs démocratiques est un élément qui amène des décisions de chois d’infrastructure certes plus laborieuses, mais nécessairement plus riches. Nous illustrons ainsi comment les exemples suisse de démocratie directe, et allemand de dualité de l’Etat fédéral, amènent des décisions qui permettent mieux la révélation des préférences des citoyens d’une part, et qui peuvent être aussi plus efficientes d’autre part.