I1.1 Croissance de la rareté en milieu contraint et choix de structure

1°) La croissance de la rareté en milieu contraint

Nous avons montré en première partie les limites de l’analyse marginaliste en présence de rendements croissants, qui peuvent conduire à des instabilités et indéterminations économiques. En fait ces instabilités et indéterminations économiques sont croissantes avec la croissance de la complexité dans un monde fini. Les degrés de libertés se réduisent lorsque l’espace se réduit, et la perspective d’obtenir une organisation satisfaisante par une régulation marchande décentralisée se réduit avec la réduction de l’espace. Des phénomènes tels que le dilemme du prisonnier apparaissent notamment avec la croissance de la rareté de l’espace.

L’environnement est le meilleur exemple d’une telle évolution. La constitution des Etats-Unis, marquée culturellement par la « conquête de l’Ouest », s’est effectuée à une époque ou les espaces naturels vierges étaient considérés comme illimités, autorisant toutes les expériences individuelles possibles d’usage de ces espaces. Mais la résistance des populations indigènes aux pionniers laissait déjà entrevoir la rareté d’un espace dont les revendications d’usage étaient contradictoires. Le choix de structure d’alors, implicite ou explicite, fut le choix du plus efficient, c’est-à-dire le sacrifice, l’extermination de la culture qui envisageait une relation à l’espace naturel antinomique de celle des pionniers. Les génocide et ethnocide des populations indiennes ne faisaient cependant que repousser le problème de la rareté de l’environnement aux générations futures.

On peut d’ailleurs utiliser l’analyse de Hirschman pour bien comprendre l’apparition de choix de structure collectifs dans un monde fini : tant que l’espace est illimité, l’exit est toujours possible, mais dès que l’espace est contraint, et la planète terre est un espace contraint, cet exit n’est plus possible. L’individu, alors contraint de vivre en société, c’est-à-dire de participer à aux choix de structure collectif, au besoin par la protestation (voice). Boudon et Bourricaud (1982) 421 rapportent ainsi une réponse de Sombart à l’inexistance de socialisme aux Etats Unis : « Pendant de longues années, le pays a été un pays de frontière ; quand un individu était mécontent de sa position sociale, il pouvait espérer en chercher une autre ailleurs. Etant donné les structures et les représentations induites par les structures, la stratégie individuelle de la défection, de l’exit, pour parler comme Hirschman, était donc la réponse normale de l’individu à une situation jugée par lui insatisfaisante. L’alternative à la stratégie individuelle de la défection est la stratégie collective de la protestation (la voice dans le language de Hirschman) : si je ne suis pas satisfait de ma situation, je puis participer à une action collective visant à obtenir une amélioration de la situation du groupe ou de la catégorie à laquelle j’appartiens. Mais lorsque les deux types de stratégie sont également praticables, la stratégie collective est généralement plus coûteuse et incertaine que la stratégie individuelle. De plus, ses effets sont souvent différés. Pour que la stratégie collective se développe il faut donc que chaque individu ait tendance à percevoir la stratégie individuelle comme impraticable ». C’est bien le cas lorsque l’espace devient contraint.

Notes
421.

BOUDON, R., BOURRICAUD, F. (1982), Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, pp. 264-265, qui évoquent : HIRSCHMAN, A. O. (1970), Exit, voice and loyalty. Responses to decline in firms, organizations and states, Cambridge, Harward University Press.