I1.2 Choix de structure et frontières du marché

A travers les choix de structure qui lèvent des indéterminations économiques, la collectivité pose une série de frontières éthiques, sociales au développement du marché. Le « détour sociologique » de notre seconde partie nous amène en effet à entrevoir la possibilité d’invariants profonds dans les besoins humains, et plus généralement dans les besoins d’une société démocratique (besoins de citoyenneté, transformables, modifiables, qui peuvent évoluer, mais immuables). Le choix de structure d’un fonctionnement démocratique des sociétés réduit considérablement les variantes d’organisation sociale. Dans le cadre de la démocratie, le développement de nouveaux « marchés de l’organisation sociale » ne peut ainsi être infini.

Comme nous l’avons vu en seconde partie, le choix de structure démocratique est lié à un choix « de structure », fondamental, en faveur de la socialisation, c’est-à-dire d’une société vivant d’échanges, de contacts matériels, informels, aléatoires, entre l’ensemble des individus formant la société. Ce choix pose finalement une frontière au marché de l’échange, limitant l’échange à toutes les formes de mise en contact matériel des individus. Dans le cadre d’un tel choix, l’apparition de nouveaux marchés de l’échange immatériel en fort développement (télécommunications, multimédia, etc...), n’est pas et ne pourra être un subtitut, elle sera un plus, un enrichissement de l’échange matériel.

Plus près du secteur des transports, le marché de la mobilité urbaine des personnes, lié au marché de l’échange traditionnel matériel entre les individus, voit une concurrence entre une mobilité multifonctionnelle ouverte à l’échange sur l’espace de transit et une mobilité rapide unifonctionnelle fermée sur l’espace de transit. La première correspond à un fonctionnement de la ville qui repose sur des espaces publics « sociopètes » 423 qui favorisent « les pratiques et relations sociales », la seconde amène un fonctionnement de la ville cloisonné par des espaces « sociofuges » qui favorisent les comportements individualistes (De Rocancourt, 1995). Dans ce marché, les transports non motorisés et collectifs correspondent plutôt à la première forme de mobilité, tandis que le transport individuel motorisé correspond à la deuxième. Bien évidement, les transports non motorisé et collectifs peuvent évoluer à l’infini dans leur forme, mais pas dans leur nature. Il en est de même pour les formes de transport individuel motorisé. Mais la concurrence entre ces deux formes fondamentales de mobilité est immuable, et ne laisse pas entrevoir la possibilité de nouveaux marchés. Comme le précise Werner Brög (1993) 424 , « le « marché de la mobilité » constitue un système (dans une large mesure) fermé, au sein duquel la progression d’un moyen de transport donné ne peut se faire qu’au détriment d’un autre ». C’est au sein de cette concurrence que se situent les choix de structure pour une certaine forme de mobilité correspondant à une urbanité à dominante « sociopète », ou « sociofuge ».

Notes
423.

DE ROCANCOURT, Marc (1995), Un train peut en cacher un autre, mémoire de l’école d’architecture de Lyon, p. 35 : « Dans « La dimension cachée », E. Hall (Le Seuil, 1971) relate les observations de Humphry Osmond, médecin qui a mis en évidence l’existence d’espaces dits « sociofuges » qui maintiennent le cloisonnement entre les individus, par opposition aux espaces « sociopètes » qui favorisent les pratiques et relations sociales. »

424.

BRÖG, Werner (1993), Changer de comportement, c’est d’abord changer d’état d’esprit in Marketing et qualité de service dans le transport public, table ronde 92 CEMT.