II.3 Absence de marché futur et réhabilitation du concept d’externalités pécuniaires

Nous avons vu en première partie dans quelle mesure le problème des externalités pécuniaires et des rendements croissants introduits par Marshall avait été évacué vers les théories de la concurrence monopolistique. L’intérêt pour les externalités pécuniaires dans l’économie du bien être est en effet nul si l’on se place dans le cadre de l’équilibre général, ou l’élimination des activités à rendements croissants est un processus normal et sain, corrigé par l’apparition de marchés futurs. Le marché tel qu’il est conçu dans la théorie économique est ainsi considéré sans frontières. Nous venons cependant de voir dans quelle mesure des choix de structure pouvaient mettre certaines frontières politique, sociologiques, éthiques à l’infini du marché. Pour certaines activités, les marchés sont ainsi structurellement fixes, ou fixés, et l’apparition de nouveaux marchés impossible.

Cette absence de marché futur n’est pas sans conséquences sur le statut du concept d’externalité pécuniaire. Jean Jacques Laffont (1977) 425 précise ainsi : « Inspirés par Arrow, W. Heller et D. Starrett (1974) ont fait une tentative pour sauver le concept d’effet externe pécuniaire. Il peut exister une interdépendance non technologique entre les agents qui ne passe pas par les prix en absence de marchés futurs ». Quelques dix ans plus tard, il n’est pas anodin de noter que Jean Jacques Laffont (1985) 426 lui-même propose une réhabilitation des externalités pécuniaires : « Dès que l’on sort de ce cadre Arrow-Debreu, les prix jouent en général un double rôle, source d’interactions qui, tout en passant par le système de prix, posent un problème même dans une économie concurrentielle. (...) Lorsque l’information est décentralisée, les prix non seulement égalent l’offre et la demande, mais aussi transmettent une partie de cette information. L’action d’un agent qui modifie les prix change le contenu informatif des prix, donc les anticipations des autres agents, donc leurs utilités espérées. Il y a bien une influence de l’action de l’agent sur les fonctions d’utilité des autres par l’intermédiaire de cette « externalité informationnelle » via les prix ».

C’est ainsi le choix méthodologique d’accorder à la fois une légitimité et une utilité, c’est-à-dire un sens social à des choix de structure qui limitent l’apparition de marchés futurs, qui nous amène à réintégrer les externalités pécuniaires et les rendements croissants dans le champ de l’économie du bien être. Nous rejoignons ainsi une conclusion ancienne d’un article de Rosenstein-Rodan (1957) 427 qui admet « que les économies externes pécuniaires sont aussi importantes en droit et sans doute plus importantes en fait que les externalités technologiques ». Nous allons ainsi définir dans ce qui suit une externalité pécuniaire « de structure » qui nous permet d’intégrer à l’analyse économique les enseignements tirés de notre seconde partie.

Notes
425.

LAFFONT, J. J. (1977), Effet externes et théorie économique, monographies du séminaire d’économétrie, éditions du CNRS, P.17.

426.

voir LAFFONT, J.J., Economie publique (tome 1), Economica, 1985, p.35.

427.

article commenté par JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France.