I2.2 Instabilité du marché de l’évitement et définition d’une externalité pécuniaire « de structure »

Le « marché de l’évitement » entre A et B voit ainsi une concurrence entre un bien dont les coûts sont à rendement croissant, et un autre dont les coûts sont à rendement décroissant. Alfred Marshall (1906) 430 précisait à ce sujet : « la manière dont une personne dépense son revenu (sur le marché) a une réelle importance économique pour la société. En effet, lorsqu’elle dépense ce revenu pour des objets qui obéissent à la loi du rendement décroissant, elle rend ces objets d’une acquisition plus difficile pour ses voisins, et elle fait ainsi baisser le pouvoir réel d’achat de leur revenu ; tandis que, lorsqu’elle dépense ce revenu à des objets qui obéissent à la loi du rendement croissant, elle rend ces objets d’une acquisition plus facile pour d’autres et elle augmente ainsi le pouvoir réel d’achat de leurs revenus ». Contrairement aux conclusions tirées à la suite de la « controverse sur les boîtes vides », le constat de l’existence de frontières au marché nous permet d’apprécier à sa juste valeur la pertinence du concept d’externalité pécuniaire dans l’analyse visionnaire de Marshall.

Dans notre « marché de l’évitement », le consommateur qui choisira B non seulement augmentera les satisfactions sociales, mais pourra de plus réduire le coût de production de B et A. Au contraire, le consommateur qui choisira A non seulement augmentera les insatisfactions sociales mais il tendra aussi à augmenter les coûts de production de A et B. Paradoxalement, l’existence de rendements croissants dans les coûts de B conduit à un écart entre prix d’équilibre supérieur au coût marginal qui tend à l’éviction de B du marché au profit de A (voir encadré) : ce marché est fondamentalement instable. Ce marché est ainsi caractérisé par un dilemme entre une préférence collective pour B (bien d’évitement des nuisances de A), mais un choix marchand pour A.

Considérons une activité économique ayant une zone de rendements croissants, comme représenté ci-dessous. Prenons en outre en considération une hypothèse forte, qui correspond par exemple à la situation des transports publics, ou la droite de demande ne coupe pas la courbe de coût moyen. Le principe de tarification au coût marginal qui conduit à un optimum de Pareto ne permet pas à l’activité en question de couvrir ses coûts moyens : celle ci sera donc écartée de facto du marché, entraînant une perte sociale pour la collectivité. On peut ainsi comparer la valeur de la perte sociale (surplus des usagers perdu en cas de non production), à la valeur de la subvention publique nécessaire à assurer l’existence de notre activité (aire marquée). On voit que la collectivité peut trouver un intérêt à subventionner cette activité puisque le bénéfice tiré de son existence peut être largement supérieur à la subvention.

On voit qu’il ne peut exister pour B de prix optimal, puisqu’une tarification au coût marginal induit pour les activités à rendements croissants un déficit systématique, ce qui les écarte de facto du marché, sauf à envisager une intervention publique qui n’est pas sans poser d’autres problèmes (collecte de l’impôt, contrainte budgétaire...). La collectivité se trouve donc face à une alternative entre perte sociale et subvention publique. Cette alternative est cependant enrichie dans le cas d’un marché à deux biens tout ou partiellement substituables tel que celui dans lequel nous nous plaçons.

En effet, dans ce marché, nous pouvons introduire une externalité pécuniaire entre le bien A et le bien B. La substituabilité totale ou partielle entre les biens A et B, ainsi que leur structure de coût asymétrique à rendements décroissant et croissant amène une interaction pécuniaire entre les consommations respectives de A et de B :

1°) la consommation de A induit une augmentation du prix de A (dpA/dcA), qui est définie dans la littérature comme externalité pécuniaire de saturation (liée aux rendements décroissants des coûts de A), mais aussi une augmentation du prix de B (dpB/dcA) ;

2°) réciproquement, la consommation de B induit une baisse du prix de B (dpB/dcB), définie dans la littérature comme externalité de réseau, (liée aux rendements croissants des coûts de B), mais aussi une baisse du prix de A (dpA/dcB).

L’ensemble de ces variations n’est pas pris en compte par le marché si les biens sont vendus à leur coût moyen. Prenant l’hypothèse d’une substituabilité totale entre A et B, on peut faire la somme entre ces deux externalités de saturation et de réseau.

Pour des biens A et B, dont la production est politiquement influencée par des investissements ou des rationnements, l’externalité pécuniaire « de structure » mesure ainsi la divergence entre choix marchands (favorisant A contre B) et choix publics « de structure » (favorisant B contre A). L’appellation « externalité pécuniaire » exprime une interdépendance entre les prix relatifs de deux biens. Nous ajoutons « de structure » pour bien préciser la relativité de cette externalité à un choix de structure adopté comme révélateur légitime de cette externalité.

Notes
430.

MARSHALL A., Principles of Economics, Londres, Macmillan, 1906, 5e éd. ; trad. française : Principes d'économie politique, deux tomes, Gordon et Breach, publications Gramma, 1971.