Conclusion du chapitre I

Ralf Turvey (1963) 444 , à la suite de la polémique lancée par Coase, évoque ses réserves sur les théories des effets externes de la façon suivante : « To sum up (about externalities), then : when negociation is possible, the case for government intervention is one of justice not of economic efficiency ; when it is not, the theorist should be silent and call in the applied economist ».Cette remarque nous amène en fait à une question fondamentale : face aux effets externes, une théorie peut être tout aussi rationnelle que possible, quel devient son intérêt si trop rationnelle, trop parfaite, elle se révèle incapable d’intégrer, d’interpréter le réel ? En éclairant la théorie économique des éléments développés en seconde partie, nous proposons d’enrichir la théorie d’une démarche économique appliquée et pragmatique. Ce pragmatisme nous amène à voir que les principes ayant conduit les économistes à rejeter le concept d’externalité pécuniaire sont caduques dès que l’on sort du cadre théorique rigoureux qui milite en faveur de ce rejet. Au contraire, le constat de l’existence et de la nécessité de choix politiques posant des frontières sociales, éthiques, au marché dans un espace de facto contraint, nous amènent à réhabiliter la pertinence des externalités pécuniaires.

Nous constatons en effet la réalité de choix politique de rationnement ou d’investissement qui créent par l’apparition de seuils critiques de production, et/ou de rendement croissants, des situation de divergences pécuniaires entre prix et coûts marginaux telles que celles présentées par Marshall. Ces divergences sont alors liées directement non pas à des interactions non marchandes affectant les utilités, mais bien de choix de structure modifiant de façon globales les raretés sociales relatives de certains biens. Plus précisément, nous nous plaçons dans un marché de deux biens A et B substituables pour lesquels existe une divergence entre les choix marchands qui favorisent A et les choix publics qui le rationnent et favorisent B à travers des investissements. Nous définissons alors une externalité pécuniaire « de structure » de A sur B égale à la somme de l’externalité de saturation de la production de A et de l’externalité réseau liée au rendements croissants des coûts de production de B. Nous montrons dans quelle mesure cette externalité pécuniaire représente un indicateur économique des divergences entre choix marchands, choix publics et préférences sociales mises en relief en seconde partie. Dans le secteur des transports, nous constatons la pertinence du concept d’externalité pécuniaire « de structure » dans les cas des infrastructures et des services de transport collectifs en général, et dans le cas des transports en espaces rares en particulier (milieu urbain, zones interurbaines denses, transit alpin). Dans ces cas en effet, la référence de l’analyse économique à une fonction de bien être social demande une prise de position normative sur un nombre de points tellement important qu’elle donne une image de la réalité fortement déformée et peu opérationnelle.

Notre définition permet de fixer un cadre théorique qui complète l’analyse marginaliste sans pour autant la remplacer. En effet, si l’on considère comme Yves Crozet (1991) 445 , que « les économies sont en fait dotées d’une régulation duale, que l’on ne peut comprendre qu’en associant les mécanismes de marché et ceux de l’action publique », on conçoit l’intérêt d’une interprétation duale des externalités. Edgar Morin (1977) 446 , qui affirme que le « tout » est à la fois « plus » et « moins que la somme des parties », met en relief la simplicité et l’insuffisance d’une analyse qui se contenterait du « tout » (les choix politiques globaux « de structure ») ou des « parties » (les valeurs sociales marginales). Nous adoptons ainsi le principe d’une complémentarité entre les potentialités et limites respectives de l’analyse fondée sur l’évaluation d’externalités technologiques « élémentaires » et l’analyse fondée sur les externalités pécuniaires « de structure ». A titre d’illustration de cette complémentarité nous observons dans le cas d’école limite où les deux approches se rejoignent que l’externalité pécuniaire de saturation du bien A est égale à la somme de l’ensemble des externalités technologiques de ce bien A sur la collectivité.

Notes
444.

TURVEY, Ralf (1963), On Divergences between Social Cost and Privat Cost, Economica, 30(3), august 1963, pp. 309-13.

445.

CROZET, Yves (1991), Analyse économique de l'Etat, Cursus-Armand Colin, p. 24.

446.

MORIN, Edgar, (1977), La méthode 1. La Nature de la Nature, Seuil, 400p, pp. 106-114.