II1.2 La complémentarité entre participation du citoyen et internalisation économique des externalités pécuniaires « de structure »

La seconde partie nous a permis de comprendre dans quelle mesure la valorisation des préférences sociales était en soi un choix, une valeur sociale par excellence, la valeur sociale première. De façon similaire, nous mettons en avant l’intérêt d’une internalisation non plus réduite à la réintégration dans le marché de préférences sociales préexistantes (recherche vaine d’un pseudo-niveau « optimal » d’intervention de l’Etat), mais comme un choix économique corollaire au choix politique de valorisation des préférences sociales.

En effet, notre analyse nous amène au dilemme suivant :

1°) la croissance des besoins sociaux avec le développement économique rend le rôle de l’action publique de plus en plus crucial ;

2°) cette nécessité structurellement croissante d’action publique ne doit pas s’accompagner de dépenses publiques structurellement croissantes, faute d’entraîner des maux tout aussi graves que ceux sensés être remédiés, que révèle le concept d’externalité pécuniaire « de structure » (divergences entre choix marchands, choix publics et préférences sociales). Il ne s’agit pas seulement de valoriser politiquement les préférences sociales. Encore faut-il que les raretés révélées par cette valorisation soient internalisées dans le marché.

Tendre vers le « bien être » social nécessite ainsi une internalisation qui, comprise dans un sens large, vise à faire reconverger choix marchands, choix publics et préférences sociales. Si l’on considère leurs divergences comme des effets pervers de la modernité, on peut dire comme Paul Ricoeur (1991) 447 que l’enjeu de l’internalisation est bien de « retrouver les correctifs appropriés aux effets pervers qui aujourd’hui défigurent les acquis irrécusables de cette même modernité ». Pour cela, le principe d’internalisation politique que nous avons mis en avant en seconde partie (participation des citoyens aux choix collectifs, c’est-à-dire valorisation des préférences sociales dans les choix politiques) est insuffisant à lui seul. Il est indissociable d’un principe d’internalisation des externalités pécuniaires « de structure », ou internalisation économique « de structure » dont l’enjeu est double :

1°) faire tendre la rationalité marchande vers la rationalité politique : il s’agit de traduire dans le marché les préférences révélées à travers le choix politique, c’est-à-dire faire sentir à l’individu consommateur le coût de ses préférences de citoyen ;

2°) intégrer la réalité de la rationalité marchande dans la rationalité politique : l’internalisation doit aussi mettre en relief aux yeux des décideurs politiques les implications économiques de leurs choix.

Ainsi, pour l’économie du bien être, il ne s’agit pas seulement d’évaluer des « externalités » (par nature indéterminées), il faut aussi rechercher les causes structurelles, les pratique institutionnelles qui conduisent à externaliser les valeurs sociales et de proposer d’autres pratiques « internalisantes » qui conduisent choix publics et marchands à tendre vers le « bien-être social » en corrigeant d’eux-mêmes les « erreurs » qu’ils produisent. Le consommateur et le décideur politique qui nécessairement se trompent (par rapport à la recherche du « bien être social ») ont besoin de signaux non point pour ne plus se tromper (vision statique simpliste d’un « optimum social »), mais pour transformer par voie rétroactive leurs « erreurs » en remises en question, prise de conscience positives (vision dynamique complexe du « bien être social »). Seuls de tels processus d’erreurs, remises en question, apprentissages permanents peuvent conduire à une convergence des choix marchands et politiques vers les satisfactions sociales.

Nous pouvons représenter schématiquement le principe de complémentarité entre une internalisation politique et une internalisation économique « de structure » au double enjeu. Seule cette complémentarité peut assurer la convergence des choix publics et marchands vers les satisfactions sociales.

Ce schéma se lit de la façon suivante : l’internalisation politique conduit, à travers la participation des citoyens, à des choix qui convergent vers les satisfactions sociales (flèche qui rapproche les choix politiques « de structure » des satisfactions sociales). L’internalisation économique est complémentaire. Elle conduit d’une part à faire converger les choix marchands vers les satisfactions des citoyens (flèche qui rapproche les choix marchands des satisfactions sociales). Elle amène d’autre part une convergence entre les choix politiques et les choix marchands (flèches qui rapprochent mutuellement choix politiques et choix marchands).

  • L’internalisation des externalités pécuniaires « de structure » par la prévention

Les externalité pécuniaires de structure sont liées à des choix de structure. Mais il serait faux de croire que les choix de structure génèrent nécessairement des externalités pécuniaires. L’internalisation par la prévention consiste ainsi à adopter des choix de structure de rationnement ou d’investissements cohérents avec le reste de la politique économique. Claude Jessua (1968) 448 , évoquant le problème des externalités pécuniaires en situation d’investissement précise ainsi dans quelle mesure c’est «la coordination des investissements en un ensemble intégré » qui « fait coïncider rentabilité sociale et rentabilité privée ». Une certaine cohérence des choix politiques de structure les uns avec les autres, ainsi qu’avec le marché peut ainsi permettre de réduire les externalités pécuniaires.

Notes
447.

RICOEUR, Paul (1991), Lectures 1 autour du politique, Seuil, 412p., p. 173.

448.

JESSUA, Claude (1968), Coûts sociaux et coûts privés, Paris, Presses Universitaires de France, p. 150.