Section II2- L’internalisation des externalités pécuniaires « de structure » dans la tarification, ou un nouvel éclairage du sens de la tarification au coût marginal

II2.1 Externalité pécuniaire « de structure » et débat entre équilibre budgétaire et tarification au coût marginal des infrastructures de transports

Pour une activité A nuisante et une activité B d’évitement de A, nous avons défini l’externalité pécuniaire en référence à un choix « de structure » favorisant B contre A comme somme des variations marginales de l’externalité pécuniaire de saturation de A (CmsA(x)-CpA(x)) et de l’externalité pécuniaire réseau traduisant les rendements croissants de B (-(CmsB(x)-Cp B(x))) lorsque la production d’une unité de A est substituée à la production d’une unité de B. Nous avons écrit cette somme :

Nous intéressant à présent à l’internalisation dans le cas particulier des infrastructures de transports, nous pouvons à présent faire le lien évident entre l’introduction de l’externalité pécuniaire « de structure », ou « d’infrastructure » et le débat entre tarification au coût marginal social et équilibre budgétaire.

Le principe de l’équilibre budgétaire consiste pour chaque mode de transport à couvrir l’intégralité de ses coûts, c’est-à-dire à tarifer les activités A et B à leur coût moyen, ou coût privé CpA et Cp B. Cette intégralité peut bien entendu intégrer pour A les externalités technologiques identifiées, c’est-à-dire à tarifer A à une valeur qui cherche à s’approcher de CmsA. Par contre, le refus du déficit qui serait induit par une tarification de B à son coût marginal conduit à tarifer B à CpB. Ce refus peut cependant amener à empêcher la production de B. Effectivement, dans la suite de ce qu’avait bien noté Alfred Marshall, le « rapport Allais » (1964) 450 précise que dans le cas où deux secteurs de transport sont en concurrence sur un parcours déterminé, il ne peut y avoir allocation optimum des ressources et l’on ne peut appliquer les règles d’une économie de marché et de concurrence si l’un des secteurs est en situation de rendement marginal croissant et l’autre en situation de rendement marginal décroissant. Ainsi, comme le précise Mark Blaug (1983) 451 , « la solution du problème de la tarification des entreprises publiques que fournissent les adversaires de la tarification au coût marginal ressemble plutôt à une dissolution ». Cette dissolution revient en fait à externaliser un coût CmxA B(x) =-(CmsB(x)-CpB(x)) c’est-à-dire à nier la pertinence et la légitimité du choix de structure ayant conduit aux rendements croissants de B.

Au contraire, nous voyons de façon triviale qu’une tarification des biens A et B au coût marginal annule, c’est-à-dire internalise l’externalité pécuniaire « de structure » de A sur B. Nous découvrons ainsi un sens nouveau au principe de tarification au coût marginal social. Si la collectivité décide politiquement de favoriser ou de freiner la production d’un bien, nous avons vu qu’elle introduit une modification de la rareté de ce bien à travers des choix globaux sur les structures de production, infrastructures dans le cas des transports. Dès que l’on adopte le choix méthodologique de considérer ces choix d’infrastructure comme pertinents, ou du moins légitimes, on considère implicitement ces infrastructures comme des richesses naturelles données. On conçoit alors l’intérêt de tarifer ces infrastructures au coût marginal, c’est-à-dire indépendamment de leurs coûts passés en recherchant plutôt le plus grand surplus présent et avenir que l’on peut en retirer. Le principe de tarification au coût marginal social revient finalement à valoriser implicitement des externalités pécuniaires révélées à travers des choix politiques de structure. Une telle tarification sera positive en cas de rationnement (coût marginal de congestion), ou négative (subvention aux coûts fixes) cas d’incitation à l’usage de nouveaux investissements.

Effectivement, le « rapport Allais » (1964) 452 précise que le principe de tarification au coût marginal (« système pratique des péages économiques » selon Allais 453 ), « qui dérive directement de la théorie économique, est enfin en harmonie avec la conception d’après laquelle les investissements d’infrastructure relèvent du domaine public et elle peut se justifier dans une large mesure par des considérations autres que l’efficacité économique ». Nous notons ainsi que seul le principe d’une discontinuité entre le système de tarification d’une infrastructure et son coût passé peut assurer une harmonie entre la théorie économique et la rationalité politique. Alors que le principe d’équilibre budgétaire tend à nier toute pertinence à une rationalité politique contrainte à obéir au marché, le principe de tarification au coût marginal (ou le principe des péages économiques) réserve toute liberté à la rationalité politique.

Et comme le précise le « rapport Allais », plus les choix d’infrastructure ont un caractère politique marqué, moins l’équilibre budgétaire est soutenable 454  : « D’une manière générale, si on considère deux secteurs dont les taux d’expansion sont différents, les distorsions des conditions de concurrence et de condition d’optimum résultant de la contrainte budgétaire seraient d’autant plus fortes que la différence des taux d’expansion est plus élevée. (...) De toutes ces considérations, il résulte clairement que le choix de la politique à appliquer dépend pour une grande part de l’ordre de grandeur des déficits qui correspondraient à une gestion optimum des trois grands secteurs... Si le déficit est très élevé et si son ordre de grandeur est très différent pour les trois modes de transport, le système pratique des péages économique pourra apparaître comme préférable. S’il est relativement faible ou du même ordre de grandeur pour les trois modes de transport, la solution de l’équilibre budgétaire pourra apparaître comme plus avantageuse ».

De la même manière, on pourra dire que si le marché entre une activité polluante A et une activité alternative B est relativement équilibré (déficits faibles ou du même ordre de grandeur pour les deux activités, taux d’expansion équilibré), le choix de structure ne se justifie pas, et l’action marginale par une internalisation des externalités technologiques visant la couverture des coûts des deux activités sera tout à fait satisfaisante. Par contre, si l’activité alternative à l’activité polluante B à un taux d’expansion trop faible, et/ou demande des investissements importants qui entraîneront un déficit élevé, le principe de couverture des coûts, même avec internalisation des externalités technologiques, ne pourra être viable. Dans un tel cas, l’adoption d’une légitimité économique aux investissements favorisant B contre A, avec internalisation de l’externalité pécuniaire entre B et A est inévitable : elle est finalement équivalente à une tarification au coût marginal social de A et B.

Notes
450.

ALLAIS, DEL VISCOVO, DUQUESNE de la VINELLE, OORT et SEIDENFUS, (1964), Options de la politique tarifaire dans les transports, CEE, première partie, p. 46.

451.

BLAUG, Mark, (1986), La pensée économique, Origine et développement, Economica, p. 719.

452.

ALLAIS, DEL VISCOVO, DUQUESNE de la VINELLE, OORT et SEIDENFUS, (1964), Options de la politique tarifaire dans les transports, CEE, p. 190.

453.

qui distingue péage économique et péage au coût marginal. Mais ces deux notions sont en fait étroitement liées, tout est question de définition lorsque l’économie appliquée sort du cadre rigoureux de l’économie pure.

454.

Op. Cit., p. 229.