II2.2 Le problème de la tarification aux coûts marginaux de long terme

Un argumentation tendant à militer malgré tout pour un principe d’équilibre budgétaire dans les infrastructures s’appuie sur la nécessité d’obliger les opérateurs à une efficacité de gestion et à considérer un besoin de régulation à long terme de la demande : cette argumentation part du principe que si les investissements sont « correctement » dimensionnés, la tarification aux coûts marginaux sociaux de long terme est équivalente à l’équilibre budgétaire en développement. Dans le cas contraire, elle met en avant le fait qu’une tarification inférieure à l’équilibre budgétaire tendrait à pérenniser de « mauvais » choix d’investissements, c’est-à-dire dont la capacité n’est pas adaptée de façon optimale à la demande (Blaug, 1983) 455 .

Cette argumentation part en fait de l’hypothèse fondamentale suivant laquelle c’est l’observation des tendances lourdes d’évolution de la demande (c’est-à-dire d’évolution des surplus du consommateur que l’on peut dégager) qui est le seul critère pour juger si les choix d’investissements sont « corrects » ou « mauvais » : le surplus du consommateur est assimilé à l’intérêt général. Même dans le cas d’une internalisation partielle des externalités technologiques identifiées, il est permis d’en douter, du moins dans certains cas : nous avons déjà insisté sur le coté nécessaire mais insuffisant d’une internalisation partielle pour faire apparaître dans le marché les aspirations sociales des individus. En fait, cette hypothèse fondamentale revient à accorder une légitimité économique au seul choix marchand du consommateur.

Finalement, le problème n’est pas directement le principe de tarification au coût marginal de long terme, dont on comprend bien l’intérêt théorique. Le problème de l’argumentation qui met en avant les coûts marginaux de long termes est plutôt lié aux deux erreurs suivantes qui sont liées l’une à l’autre :

1°) la croyance que l’on peut prévoir les coûts sociaux qui peuvent apparaître dans le long terme : on peut effectivement en prévoir certains, il serait illusoire et erroné de penser que l’on peut les prévoir tous ;

2°) la volonté implicite de justifier un principe d’équilibre budgétaire fondé sur la négation de tout caractère politique des choix d’infrastructure à travers l’hypothèse de « choix d’infrastructure dimensionnés de façon optimale ».

Constater d’une part la réalité et d’autre part la pertinence de choix politiques d’orientation de la demande et de résistances sociales à l’extension de nouvelles infrastructures revient à rejeter cette hypothèse de « choix d’infrastructure dimensionnés de façon optimale ». Cette hypothèse est doublement critiquable :

1°) elle est fausse, dans le sens où elle ne correspond pas à la réalité ; les choix politiques ne sont pas « optimaux », et ils ne peuvent l’être, de par leur essence même ;

2°) elle est mutilante et contraire à l’internalisation, dans le sens où elle conduit à des principes de tarification qui passent à coté de l’ensemble des valeurs révélées à travers les choix d’infrastructure ; les choix politiques ne sont pas « optimaux », et il est heureux qu’ils ne le soient pas.

Rechercher les coûts marginaux sociaux de long terme est louable, mais affirmer qu’ils correspondent à l’équilibre budgétaire en développement est tout simplement faux. Reconnaître le caractère essentiel des valeurs révélées à travers les choix d’infrastructure politique revient à accepter un principe fondamental de discontinuité entre les coûts de l’infrastructure et son système de tarification.

Par voie de corollaire, il nous faut constater pour les infrastructures un principe de discontinuité théorique entre les méthodes économiques d’évaluation et les méthodes économiques de tarification :

1°) les premières proposent au décideur un critère qui représentera un élément de rationalité parmi d’autres dans le choix ; cet élément pourra comprendre la valorisation d’un certain nombre d’effets non marchands ;

2°) les secondes doivent intégrer l’ensemble des éléments de rationalité qui ont amené le choix, et pas seulement la seule rationalité économique, fusse-t-elle enrichie de la valorisation d’effets non marchands. C’est là que réside tout l’intérêt d’un système de tarification fondé sur la maximisation de l’usage d’une infrastructure considérée comme donnée.

Notes
455.

BLAUG, Mark, (1986), La pensée économique, Origine et développement, Economica, p. 717.