III1.1 Les choix d’infrastructure de transport, inévitables choix « de structure »

Il est a priori indispensable d’intégrer dans les évaluations de projet les coûts et avantages sociaux que la collectivité va en tirer. Par ce biais, les choix collectifs orientent la demande vers les transport les plus socialement avantageux. Gehard Heimerl (1986) 462 insiste ainsi sur l’importance stratégique des choix d’infrastructure dans la conduite des politiques des transports et d’aménagement. On observe cependant a posteriori que c’est justement à travers ces choix que sont révélées des préférences collectives nouvelles. Les choix d’infrastructure de transport résultent ainsi plus de confrontations de préférences dans un champ de décision politique, que du résultat d’évaluation de confrontations prix-coûts sur le marché des transports.

Les politiques de transport urbain, par exemple, sont fortement liées à des considérations d’ordre social. Ainsi, en milieu urbain, les politiques des transports n’auront pas le même impact redistributif suivant qu’elles favoriseront la mobilité des individus à hauts revenus (péage urbain avec nouvelles infrastructures routières à péage...), ou bien qu’elles faciliteront la mobilité des individus moins fortunés (amélioration des transports publics, dessertes des quartiers défavorisés dans la lutte contre l’exclusion sociale, réductions aux chômeurs). Le rationnement par les prix d’une demande de transport aux heures de pointe pose ainsi des problèmes difficiles. La congestion routière semble ainsi aujourd’hui préférée par une grande majorité de la population par son coté d’accès égalitaire à un espace public (les « riches » attendent au même titre que les « pauvres », on peut ainsi mettre en relief des transferts redistributifs de la congestion, des individus qui ont une grande valeur du temps vers les individus ayant une valeur du temps plus faible 463 (Chausse, 1995)). Yves Crozet 464 explique ainsi l’opposition quasi générale à l’idée du péage urbain tirée des principes néoclassiques d’allocation optimale des ressources, en montrant qu’un tel péage risque de devenir un péage de rente ayant des effets anti-redistributifs marqués si il n’est pas lié parallèlement à un développement des TC qui puisse ainsi profiter aux catégories plus modestes (Crozet, 1994). Il existe en ce sens une préférence « de structure » en faveur d’un principe d’égalité des individus face à l’usage de la voirie urbaine, c’est-à-dire en faveur d’une régulation par la congestion plutôt que par les prix.

Jean Marc Offner (1992) 465 qui invite l’économiste à « admettre que le discours politique possède son efficacité propre - dans les représentations simplifiées de la réalité qu’il développe », nous rappelle que les choix de projet de transports s’inscrivent dans des orientations politiques globales « de structure ». Ces choix ne peuvent ainsi être réduit à une « rhétorique déterministe » rationalisée de l’évaluation ex-ante d’effets micro-économiques élémentaires :

« les techniques traditionnelles d’évaluation des projets, en préparation de la décision, participent au premier chef à cette célébration de l’effet. Les analyses coûts-avantages s’attachent à prendre en compte, si possible en les quantifiant et en les monétarisant, des effets, directs ou indirects. (...) Que l’on parle de rentabilité, ou d’efficacité économique et sociale, le raisonnement de l’évaluation a priori privilégie l’individualisation des conséquences directes du projet considéré, au détriment de la prise en compte des opportunités qu’il représente comme outil d’une politique. Il ressortit à la déduction et non à la rétrodiction (où l’on suppose réalisé un phénomène - l’objectif fixé - et l’on recherche les conditions qui le rendent possible - les moyens d’y parvenir). C’est ainsi que l’on continue sans états d’âme à évaluer l’intérêt d’un projet de transport en grande partie par les temps de déplacement qu’il est supposé faire économiser, alors que l’on sait parfaitement par ailleurs que ces gains de temps trouvent, à plus ou moins court terme, des traductions diverses : élargissement des bassins d’emploi et extension des périphéries, restructuration des programmes d’activité, par exemple. (...) Le mythe de l’effet, « en « saucissonnant » les politiques de transport par projets (...), minimise les exigences de coordination entre les divers éléments des systèmes de déplacement, entre les actions de gestion des flux et d’occupation de l’espace, etc. Il occulte la nécessité des mesures d’accompagnement (...) ».

Effectivement, les choix d’infrastructure de transport représentent de véritables choix « de structure » qui ont plus vocation à s’inscrire dans des stratégies politiques qu’à répondre mécaniquement à une demande, notamment dans des stratégies « d’évitement » de dépendance à un mode de transport, ou à une trop grande concentration des activités et des flux.

Notes
462.

HEIMERL, Gerhard (1986), Die Einbeziehung von Umweltgesichtspunkten in die Planung für den ÖPNV, Verband öffentlicher Verkehrsbetriebe : Jahrestatung'86.

463.

voir CHAUSSE, Alain, LET

464.

CROZET, Yves (1994), La mobilité en milieu urbain : de la préférence pour la congestion à la préférence pour l'environnement, LET, ADEME, Ministère de l'Environnement.

465.

OFFNER, Jean-Marc (1992), Les "effets structurants" du transport : mythe politique, mystification scientifique : Une rhétorique déterministe de l'évaluation ex-ante, contribution à la 6ème Conférence Mondiale sur la Recherche dans les Transports, Lyon, 1992.