III1.2 Les choix de structure d’évitement de la dépendance croissante au transport routier de marchandises

Les premiers pas politiques alternatifs à la dépendance au transport routier de marchandises proviennent des pays de l’arc alpin, et notamment de la Suisse qui d’ici à 10 ans va interdire tout transit routier de marchandises à travers son territoire. Comme alternative au transport routier, la Suisse se lance aujourd’hui dans un programme d’investissement ferroviaire gigantesque. Il consiste à réaliser sur les axes du Lötschberg et du Gottard près de 150 km de lignes nouvelles dont environ 100 km en tunnels de base. Ces tunnels, intégrés dans le réseau voyageur européen à grande vitesse, vont permettre pour le transport marchandises d’une part une augmentation considérable des performances du transport combiné de l’Italie vers l’Allemagne, et d’autre part le transports des poids lourds sur les trains (principe de route roulante appliqué au tunnel sous la Manche).

Les conséquences sur l’ensemble de l’Europe de la politique suisse des transports sont considérables : le projet suisse permet d’envisager pour le siècle prochain un développement considérable du transport ferroviaire classique et combiné entre l’Italie du Nord et l’Europe du Nord. Dans la suite directe de ces projets de tunnels, la communauté Européenne a ainsi adopté comme projet d’intérêt européen l’aménagement de l’axe Bâle - Rotterdam pour le transport combiné 466 .

Au delà du transit Nord-Sud, la décision suisse a influencé considérablement les prises de position françaises, italiennes, autrichiennes, et allemandes en ce qui concerne le transit alpin de part et d’autre de la Suisse. C’est ainsi que le principe de doublement des tunnels routiers franco-italiens du Mont-Blanc et du Fréjus, limités chacun à deux voies de circulation, envisagé jusque dans les années 1990, est abandonné au profit d’une solution d’autoroute ferroviaire combinée avec le projet TGV Lyon - Turin. La décision suisse a ainsi accéléré le processus de décision d’un projet franco-italien là encore gigantesque, puisqu’il s’agit de percer trois tunnels ferroviaire de 10 km (sous la Chartreuse), 20 km (sous Belledonne), et 55 km (sous le Mont Fréjus), soit plus de 80 km.

En Autriche, le projet d’un doublement de l’axe du Brenner par une deuxième autoroute (avec tunnel sous le massif des Zilertarler Alpen et traversée du massif des Dolomites le long de la vallée du Piave), envisagé jusqu’au début des années 1980, est n’est aujourd’hui qu’un vague souvenir. Comme alternative, est projeté là encore un projet ferroviaire entre Munich et Vérone totalisant près de 100 km de tunnel. Ce projet, incertain jusqu’aux années 1990, est depuis les décisions suisses jugé politiquement inévitable. Il est fortement soutenu par les autorités politiques bavaroises, où une forte pression régionaliste tend à montrer la Suisse comme exemple à suivre.

Les deux projets, Lyon - Turin et Munich - Vérone sont ainsi aujourd’hui dans les projets prioritaires de la communauté européenne. Au total, c’est près de 300 km de tunnels ferroviaires qui vont être percés sous les Alpes dans les 20 prochaines années, soit environ 6 fois la longueur du projet Eurotunnel... Il est certain que ces investissements, en se posant comme véritable alternative au transport routier, assurent l’avenir du transport ferroviaire de marchandises de et vers l’Italie.

Parallèlement à ces projets transalpins, de nombreux pays européens réfléchissent à des options d’autoroute ferroviaire le long de couloirs de transit particulièrement surchargés. En France, est ainsi étudié un tel projet entre Lille, Paris, Lyon, et Avignon. En Allemagne, des services de « route roulante » existent déjà pour le transit vers la Pologne et la république Tchèque.

Il est bien évident que les rentabilités financières à court terme de ces investissements de tunnels transalpin ou d’autoroute ferroviaire sont insuffisantes pour des financement privés. La concrétisation de ces projets obéit ainsi à de véritable choix politique « de structure » visant à sortir la collectivité de sa trop grande dépendance au transport routier, par orientation volontariste du développement de la demande vers le rail.

Notes
466.

sommet européen de Corfou, juin 1994