III1.3 Les choix de structure d’évitement de la dépendance croissante à la mobilité routière individuelle

Sortir de la logique de dépendance au développement de l’automobile et lui substituer une logique vertueuse comme celle représenté sur le graphique ci-dessous, représente un véritable enjeu de liberté pour les politiques des transports. Peter Wieland (1993) 467 précise à ce propos : « L’urbanité perdue ne peut être regagnée que si un partage modal efficient est atteint entre transport public et individuel. (..) L’attractivité des TC doit au total être équivalente à celle du transport individuel motorisé. Cela signifie que les TC doivent être au moins deux à trois fois plus attractifs qu’aujourd’hui. Sinon, nous perdons alors toujours plus en termes de qualité de la ville et de la vie ». ».

Graphique : du cercle vicieux à l’arche vertueuse
Graphique : du cercle vicieux à l’arche vertueuse D’après : Verbandes öffentlicher Verkerhrsbetriebe, Deutschen Bundesbahn, (1989), Zeit zum Umdenken, Busse und Bahnen.

Jean Pierre Orfeuille (1994) 469 nous fait part des choix de structure qui selon lui seraient nécessaires en matière d’urbanisme pour sortir de l’ornière de la dépendance croissante à l’automobile : « Les conditions de la promotion d’une autre vision, appuyée sur la reconquête des friches industrielles -voire parfois locatives- dans la proche banlieue et sur le développement de pôles secondaires denses, bénéficiants de la plupart des aménités et capables d’un rayonnement significatif sont, dans le contexte multi-communal qui nous caractérise, sans doute difficiles à mettre en oeuvre. Seule une réflexion de fond et bien sûr un débat sur l’architecture des compétences locales, la combinaison des instruments économiques, planificateurs fiscaux apte à faire émerger un modèle plus compact et plus multipolaire pourra nous faire sortir de l’ornière actuelle, qui n’est pas seulement préjudiciable aux consommations : chacun sait que les décisions d’implantation du tertiaire supérieur international dépendent pour beaucoup de l’image de la qualité de vie urbaine que se font ses dirigeants. »

Chantal Duchène (1994) 470 , complète ce catalogue de mesures en matière d’urbanisme, et insiste sur la nécessité de changer d’orientation, notamment sur l’importance de la mise en place d’alternatives à l’automobile : « C’est donc un véritable défi que nous avons à relever, en changeant d’orientation, et bien une révolution qu’il faut accomplir pour à la fois maîtriser la circulation et développer l’offre et l’usage des modes alternatifs à la voiture. Nous y sommes aujourd’hui poussées par les enjeux de préservation de nos villes et de leur urbanité, la sauvegarde de notre environnement et les préoccupations de sécurité. (...) Ce sont surtout des choix politiques d’organisation des déplacements qu’il nous faut faire, et, en cela, sans doute renoncer au miracle de la technique, capable de résoudre tous les problèmes. Les pouvoirs publics ont là un rôle capital à jouer, car ce sont eux qui disposent des moyens de régulation. (...) La politique de l’urbanisme doit ainsi s’attacher à préserver les espaces non bâtis, pour éviter un étalement encore plus accentué des villes. Elle doit ainsi favoriser, et je reprends là l’expression de nos amis allemands, « la ville des courtes distances » : cela impose d’agir sur la densité et sur la mixité des fonctions, de façon à avoir une agglomération qui permette de se déplacer par des modes alternatifs à la voiture particulière. »

L’union des entreprises de transport publics allemands nous explique dans quelle mesures une orientation de la demande est inévitable : « Dans le futur, la possibilité de gagner la course en avant entre développement de la demande routière et adaptation de l’offre semble toujours plus improbable. En effet, avec l’accroissement de la rareté de l’espace, les possibilités d’augmenter les surfaces dévolues à la circulation sont de plus en plus limitées. En outre, l’opposition des individus à de telles augmentations sont croissantes, surtout en milieu urbain. Car des pénétrantes plus larges signifient non seulement le développement des effets de coupure entre quartiers, mais aussi plus de bruit et de pollution atmosphérique pour les riverains. A cela, s’ajoute le fait que les bouchons ne sont quasiment pas éliminés, mais simplement reportés à d’autres endroits. Développer les infrastructures routières sans poursuivre les dégradations de l’environnement urbain est impossible. Ainsi, il ne reste que la solution consistant à freiner le flux des automobiles dans les centre-villes, accompagnée d’une offre TC alternative. Si seulement 10 à 20% des automobilistes se reportaient sur les bus, tramways, et trains, les effets atteints seraient déjà considérables 471  ».

Ainsi, en Allemagne, face à la congestion croissante des réseaux autoroutiers, et aux fortes résistances sociales contre son extension, nous pouvons ainsi observer un tournant notable dans l’orientation des politiques des transports. Le journal « Verkehrs Nachrichten » commente ainsi les options d’investissement du schéma directeur des transport de 1992 : « Les mode de transports écologiques ferroviaire et fluvial doivent prendre une plus grande part de la croissance du trafic. (...) Avec le schéma directeur des transports de 1992, le ministre Krause a amorcé un tournant en faveur du rail dans la politique d’investissements. Pour la première fois, les volumes d’investissements pour le rail dépassent ceux de la route ; 49% des investissements de première urgence reviennent ainsi au rail. Ainsi, s’effectue une orientation fondamentale vers le transport ferroviaire écologique ». 472

Le successeur du ministre Krause, Matthias Wissmann (1993) 473 , justifie ainsi les orientations de la politique des transports en Allemagne : « La protection du cadre de vie des êtres humains doit se baser aussi sur des décisions de politique des transports. Il existe un consensus pour considérer qu’à moyen terme, nous ne pourrons surmonter la croissance continue de la mobilité que si nous orientons nos stratégies vers les standards écologiques les plus hauts. Seuls ceux qui investissent aujourd’hui dans des technologies propres pourront subsister dans la concurrence de demain. (...) Je veux rendre les chemins de fer ainsi que les transports publics aussi attractifs que possible. La part modale actuelle du rail dans le transport de personnes, de seulement 6% en Allemagne, doit clairement être augmentée. Qui veut empêcher un blocage définitif du système de transport doit renforcer le chemin de fer. Le report modal du trafic de la route sur le rail, si fréquemment mis en avant, ne peut être qu’une partie de la solution à nos problèmes de transports. La limitation de la circulation, là où elle n’est pas absolument indispensable, doit aussi faire partie intégrante d’une stratégie de politique des transports moderne et respectueuse de l’environnement ».

Bien sûr, ces affirmations ne sont que des déclarations d’intention, dont la mise en pratique est difficile. Mais le quasi gel de la construction d’autoroutes dans les anciens Länder de l’Allemagne, malgré un degré de saturation record, de même que la réforme des chemins de fer marquent une orientation claire de la politique des transports allemande.

Philippe Bovy (1991) 474 nous précise aussi à propos de son pays : « En Suisse, l’encouragement des transports publics a valeur « d’option stratégique cruciale ». Le slogan de « renaissance du rail » n’est pratiquement pas combattu sur le plan politique ». La politique Suisse des transports est ainsi marquée par le gel de nombre de projets autoroutiers, plus précisément tous les projets susceptibles de générer de nouveaux flux de transit, auxquels est posée en alternative une amélioration conséquente des réseaux de transport public. L’Autriche, de façon similaire à la Suisse et l’Allemagne, accompagne une baisse draconienne des crédits alloués à la construction de nouvelles routes d’une réforme des chemins de fer similaire à la réforme allemande. Partout, l’espoir d’une libération de la dépendance au mode routier vient de choix politiques « de structure » qui forcent une nouvelle organisation des transports par des choix strétégiques clairement orientés en faveur des transports collectifs et ferroviaires.

Notes
467.

WIELAND, Peter (1993), Kann der ÖPNV gewinnbringend sein ? ,in nahverkerhrs-praxis Nr. 11/1993.

468.

D’après : Verbandes öffentlicher Verkerhrsbetriebe, Deutschen Bundesbahn, (1989), Zeit zum Umdenken, Busse und Bahnen.

469.

Orfeuille Jean Pierre, 1994, Déplacements et consommations d’énergie, les enjeux dans les grandes métropoles, INRETS, contribution au Débat national sur l’Energie et l’Environnement.

470.

Duchène Chantal, 1994, Ville et déplacements : quels enjeux énergétiques et environnementaux, quelles régulations ?, CERTU, contribution au Débat national sur l’Energie et l’Environnement.

471.

Verbandes öffentlicher Verkerhrsbetriebe, Deutschen Bundesbahn, (1989), Zeit zum Umdenken, Busse und Bahnen.

472.

VERKEHRS NACHRICHTEN, (1992) Verkerhshaushalt'93 mit neuen Dimensionen, Erstmals Vorrang für die Schiene, 8/9-92

473.

WISSMAN, Matthias (1993), Bundesverkehrsminister, Mobilität zwischen Wachstum und Ökologie, in Verkehrs Nachrichten Heft7, Bonn.

474.

BOVY, Philippe (1991), Le réseau ferroviaire suisse : un modèle à suivre ? Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.