2°) Les externalités pécuniaires « de structure » des investissements lourds souterrains de transport collectif en milieu urbain

Si l’on observe les investissements TC effectués en France, dans les années 70 et 80, on constate que ces investissements ont obéi à des logiques de prestige, de stratégies industrielles nationales (métros de Lyon et de Marseille, VAL de Lille, Toulouse, Orly) ainsi qu’au principe de respect de la liberté individuelle de l'automobiliste (sites propres souterrains) plutôt que d'efficacité pour récupérer des parts de marché sur la VP. De tels choix technologiques, limités par leurs coûts à des axes spécifiques, ont induit de nouveaux trafics plutôt qu'ils n'ont attiré la clientèle VP. L’absence de débats préalables aux investissements lourds a en outre conduit à des « erreurs » de choix technologiques inadaptés aux besoins (où du moins des besoins de transports collectifs censés être satisfaits, puisque ces choix ont été plutôt adaptés aux industriels qui les ont imposés) 482 .

Une telle inefficacité, malgré des investissements colossaux, conduit en effet structurellement les TC vers des déficits et des stratégies de productivité qui les écartent de facto du marché (excepté sur les axes très localisés ou se trouvent ces gros investissements). A Lyon, les milliards investis dans le réseau métro n’ont en rien permis de gagner des parts de marché sur l’automobile. Entre 1985 et 1995, c’est le contraire qui s’est produit, le trafic automobile a augmenté de 40% et la part modale des TC a baissé. A l’opposé, à Zurich, les populations locales ont rejeté de couteux investissements de métro et de mise en souterrain du tramway dans le centre, proposés par les experts et l’ensemble des partis politiques : le tramway est resté en surface, et sa mise en site propre intégral s’effectue au fur et à mesure du renouvellement des voies. Le résultat est frappant : « Les transports urbains de Zurich estiment assurer 50% des déplacements sur l’ensemble de l’agglomération et 80% des déplacements dans le centre-ville. Le trafic automobile stagne à Zurich depuis 1984, le transport public augmente donc sa part de marché, et ce malgré un taux de motorisation élevé. » 483

Actuellement, on peut donc interpréter la crise environnementale et financière des transport urbain par un conflit qui génère une externalité pécuniaire « de structure » :

Enterrer les TC revient en fait à surenchérir leur coûts relatifs par rapport au coût de l’automobile, et représente finalement une subvention cachée à la circulation automobile (les calculs de rentabilité des métros conduisent fréquemment à des surplus dégagés plus importants chez les automobilistes que chez les usagers TC) qui tend à peser de plus en plus sur les budgets publics. Cette subvention cachée, ou externalité pécuniaire, est perverse dans la mesure ou elle tend à assimiler des investissements métro comme étant en faveur des transports collectifs, alors que ces investissements peuvent souvent être plus favorables aux usagers VP qu’aux usagers TC !

Pour Kenneth J. Button (1990) 484 les politiques de subventions des transports publics directement, et des transports individuels indirectement, ont « une viabilité politique et économique [qui] à long terme n’est pas certaine ». Et Button de poursuivre : « C’est particulièrement le cas lorsque les transports publics sont perçus comme un mode de transports inférieur en périodes de croissance des revenus—dans de tels cas, il faudrait constamment accroître le niveau des subventions nécessaires pour maintenir la part des transports publics dans les déplacements, principalement pour des améliorations de la qualité du service. »

Effectivement, une subvention des TC, si elle se place dans le cadre d’une croissance des revenus forte, c’est-à-dire d’une baisse des coûts relatifs de la VP dans le budget des ménages, n’a aucun effet sur la répartition modale, mais induit au contraire une mobilité supplémentaire qui favorise finalement la VP. Comme le précise Alain Chausse (1994) 485 , si elles ne sont pas accompagnées d’une hausse des coûts de la VP, « les politiques TC favorisent l’usage de l’automobile, alors même qu’il serait préférable de le réfréner, qui plus est, au dépend des usagers TC, c’est-à-dire par un transfert de surplus vers ceux de l’automobile ». En fait, subventionner les TC sans augmenter parallèlement le coût de la circulation VP est complètement inefficace et de plus en plus coûteux.

Ce coût peut être aggravé, lorsqu’une priorité pour les transports collectifs politiquement affichée et concrétisée par des investissements, s’accompagne de choix parallèles incohérents favorisant le transport individuel. Gerhard Heimerl (1986) 486 précise par exemple : « Laissez moi rappeler, (...) qu’il fut en son temps à mon avis vraiment absurde, d’un côté, de supprimer la dispense de taxe sur les produits pétroliers des entreprises de TC, dans le but de d’économiser les produits pétroliers, et de l’autre d’encourager fiscalement l’usage de l’automobile pour la circulation domicile - travail ».

La crise du financement des TC provient du fait que la préférence de la collectivité pour les TC s’est toujours accompagnée jusqu’à ce jour d’une préférence pour la liberté de circuler en VP bien supérieure à son aversion pour les déficits publics. Cette situation conduit les TC vers des déficits et des stratégies uniquement centrées sur les efforts de productivité qui les écartent de facto du marché. C’est en fait parce que le conflit entre VP et TC n’est pas arbitré qu’il y a génération « d’externalités pécuniaires de structure » entraînant des coûts budgétaires et environnementaux pour la collectivité non soutenables à terme.

Notes
482.

On lira à ce sujet l’excellente leçon de démocratie donnée dans un document de l’association TRANSCUB (1993), Transports et démocratie, Voyages dans Bordeaux.

483.

CERTU (1995), Les transports collectifs de surface en site propre, études de cas en France et à l’étranger, p. 110.

484.

BUTTON, Kenneth J. (1990), Les défaillances du marché et de l'intervention des pouvoirs publics dans la gestion des transports, OCDE, Comité de l'environnement.

485.

CHAUSSE, Alain (1994), Les transports en commun subventionnent la congestion, in La mobilité en milieu urbain : de la préférence pour la congestion à la préférence pour l'environnement, LET, ADEME, Ministère de l'Environnement, sous la direction de Yves CROZET.

486.

HEIMERL, Gerhard (1986), Die Einbeziehung von Umweltgesichtspunkten in die Planung für den ÖPNV, Verband öffentlicher Verkehrsbetriebe : Jahrestatung'86.