III3.1 L’internalisation-évitement des externalités pécuniaires de structure par équilibre budgétaire global au sein d’une direction des investissements en infrastructures tous modes

Jean Sylvardière (1995) 491 insiste ainsi sur les effets pervers d’une gestion modale du système de transport : « Il y a plus de rivalités que de complémentarité (...°). Au sein du ministère des transports, chaque schéma d’infrastructure est soutenu par un lobby qui cherche à en minimiser les coûts. Il n’y a pas d’étude intermodale (...). Les possibilités ferroviaires sont généralement sous-estimées (...). Enfin, les systèmes de financement sont cloisonnés. Les autoroutes sont financées dans le cadre de la loi de 1955, l’EDF finance la canal Rhin-Rhône, etc. » Ce cloisonnement modal conduit à des contradictions coûteuses, que nous avons mis en relief précédemment en interprétant ces contradiction comme des externalités pécuniaires. De telles externalités pécuniaires ne sont pas durables comme le précise François Jonchère (1995) 492  : « Aujourd’hui, il n’est plus possible de financer des doublons. Chaque partenaire doit avoir une approche véritablement intermodale. On ne peut faire tout, partout. (...) Il faudra s’interroger sur la pertinence de certains choix ».

L’internalisation des externalités pécuniaires nécessite ainsi une gestion globale du système de transport qui permette une approche intermodale cohérente. Nous nous apercevons dans quelle mesure c’est le principe d’équilibre budgétaire du système de transport qui contraint tôt ou tard la collectivité à une internalisation des externalités de structure.

Nous retrouvons alors l’argumentation du « rapport Allais » (1964) 493 qui précise :

  • la nécessité d’une « coordination des investissements d’infrastructure, non seulement à l’intérieur de chacun des secteurs des transports intérieurs, mais aussi entre les secteurs concurrents (p186) » ;
  • la nécessité d’envisager un principe d’équilibre budgétaire pour « porter remède aux divers inconvénients inhérents aux déficits » ;
  • comme corollaire aux deux éléments précédents, la nécessité d’une « gestion efficace des infrastructures dans le cadre institutionnel et sociologique existant », ce qui implique un principe d’équilibre budgétaire dont l’application « ne peut et ne doit être que très générale, c’est à dire assortie d’une large péréquation ».

Nous voyons que si un principe d’équilibre budgétaire par mode est incompatible avec la liberté politique de maîtrise de la demande par des choix d’infrastructure, cela ne signifie nullement qu’il faille accepter la croissance des dépenses d’interventions publiques comme une fatalité !

Nous avons précisé dans quelle mesure l’on pouvait donner un sens social aux cas de surcapacités (avec déficit budgétaire) ou de saturations (avec excédent budgétaire réel ou virtuel en cas de congestion non tarifée). Les premiers correspondent à une volonté de favoriser un mode de transport, les seconds répondent à une saturation sociale face au développement d’un mode de transport. Si ces excédents et déficits au sein du secteur des transport correspondent à une volonté politique légitime, nous avons montré que l’internalisation des externalités pécuniaires de structure consiste en un simple transfert de l’un à l’autre permet d’assurer une intervention publique financièrement neutre 494 .

Peter Wieland (1993) 495 précise ainsi à propos de la gestion des transports urbains : « La thèse selon laquelle un système de transport public attractif est financièrement accessible est jugée presque sans exception comme fausse. Chaque année, la croissance des besoins de subventions des TC est apportée comme preuve frappante. (...) Si l’on se place cependant sur le chemin d’une évaluation socio-économique globale, on constate de façon décisive qu’il existe beaucoup plus de possibilités pour financer un système de transport public attractif et adapté à la clientèle, que ce qui jusqu’alors était considéré.(...) Nous montrons ainsi au contraire qu’un système de transport public attractif est sans déficit, et qu’il peut même dégager des bénéfices ». La démonstration de Peter Wieland consiste en fait à considérer les TC et la VP au sein d’un même système, au sein duquel les coûts fixes des TC sont financés par la VP par l’intermédiaire, entre autres, de la tarification du stationnement.

Nous voyons là l’intérêt d’une gestion globale des infrastructures de transport au sein d’une direction des investissements en infrastructure tous modes. Outre la cohérence des options politiques, une telle gestion tous modes est une garantie de transferts qui évitent les externalités pécuniaires « de structure » des subventions multilatérales à la mobilité.

Nous constatons qu’il ne saurait y avoir de véritable internalisation des préférences sociales dans le marché des transports dans le cadre d’une concurrence entre différentes institutions modales pratiquant chacune leur politique propre d’investissement.

Notes
491.

SILVARDIERE Jean (1995), Président de la Fédération Nationale des Associations d’Usager des Transports (FNAUT), intervention au débat infrastructures : quelles stratégies pour la France ?, colloque du Sénat de la République Française, 22 nov. 1995.

492.

JONCHERE, François (1995), Sous-directeur à la Dirction du budget du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, intervention au débat infrastructures : quelles stratégies pour la France ?, colloque du Sénat de la République Française, 22 nov. 1995.

493.

ALLAIS, DEL VISCOVO, DUQUESNE de la VINELLE, OORT et SEIDENFUS, (1964), Options de la politique tarifaire dans les transports, CEE. pp. 31-32, 204 et 333.

494.

On notera à ce sujet dans le rapport Allais la contradiction fondamentale entre les principes de tarification au coût d'usage (p.31) avec reconnaissance de la dimension politique des choix d'infrastructure (pXVII), et le refus de répartition globale des déficits entre les modes routiers, ferroviaires et fluviaux (p215). Mais la contrainte d'environnement et l'évolution vers une séparation de la gestion de l'infrastructure et de l'exploitation des réseaux de chemins de fer européens modifient sensiblement le cadre d'analyse par rapport à 1964.

495.

WIELAND, Peter (1993), Kann der ÖPNV gewinnbringend sein ? ,in nahverkerhrs-praxis Nr. 11/1993.