III3.2 Le principe d’équilibre budgétaire du système de transport, ou l’émergence par arbitrage des préférences collectives

Nous avons vu que les transferts inter-modaux permettent un équilibre budgétaire du secteur des transport. Mais plus que cela, le principe même d’un équilibre budgétaire au sein de l’activité des transports est un levier puissant d’émergence des préférences collectives. Pour cela, nous choisissons une déclaration de Matthias Wissmann (1993) 496 , ministère des transports allemand qui le sens d’une internalisation des externalités pécuniaires de structure, visant à « mettre en correspondance les prix du marché avec les investissements publics » :

‘« L’état ne peut pas et ne doit pas tout réguler. Une politique des transports conduite dans un esprit démocratique doit en ce sens reposer sur la responsabilité propre de chaque citoyen de notre pays. (...) La politique des transports allemande s’est limitée dans le passé à des investissements publics, non accompagnés de prix en accord avec le marché. Le Bund et les Länder ne peuvent plus financer le nombre important de projets attendus, sans augmenter encore l’endettement des budgets publics. (...) A ce propos, il est aujourd’hui clair pour moi que la circulation routière doit devenir plus chère ».

Nous retrouvons dans cette déclaration la mise en relation d’une sous-tarification (que nous définissons comme externalité pécuniaire de structure) avec la légitimité politique d’investissements public. L’internalisation est ainsi envisagée comme une mesure d’accompagnement des politiques publiques, et non comme une substitution à celles-ci. Dans le domaine d’une politique de tarification, il ne s’agit pas d’introduire une « vérité des prix » (termes qui n’ont pas de sens), mais bien une cohérence et pédagogie des prix avec l’orientation des choix publics. Par exemple, augmenter la fiscalité routière pour financer une politique des transports écologique qui s’appuie sur le mode ferroviaire est cohérent. Lier clairement cette augmentation aux contraintes d’environnement (par ex : par l’appellation de « taxe écologique ») a en plus un aspect pédagogique.

Si l’orientation stratégique est de choisir une internalisation de préférences sociales en faveur d’un environnement de meilleure qualité, peu importe finalement, de savoir de combien la circulation routière doit devenir plus chère. L’internalisation ne consiste pas à intégrer brutalement dans le marché des « coûts externes » prédéfinis, préévalués. Pour ce qui concerne la politique de tarification, elle consiste plutôt à orienter peu à peu l’évolution des prix dans une direction plus cohérente avec l’esprit des choix publics, ce qui correspond à une internalisation des déséconomies pécuniaires liées à ces choix. Comme le précise Yves Martin (1991) 497 , « l’élasticité de la demande d’énergie en fonction du prix étant faible à court terme et forte sur le long terme, il n’est pas nécessaire de créer un signal fort immédiat : l’important est d’afficher un signal progressivement croissant ».

Nous voyons dans quelle mesure c’est la contrainte budgétaire qui conduit à un choix stratégique favorisant une augmentation du coût de la circulation routière contre un abandon des transports collectifs. Dans cette perpective, on s’aperçoit que le problème de l’internalisation des coûts externes est bien un problème de responsabilité : l’acceptabilité des déficits publics a une limite, et tôt ou tard, la collectivité doit arbitrer entre des préférences qui sont contradictoires. Dans l’ensemble des mesures d’internalisation qu’il préconise, Rothengatter insiste ainsi particulièrement sur l’importance de l’équilibre des coûts du système de transport, ceci éventuellement avec des transferts internes pour soutenir les transports publics (IWW, INFRA, 1995) 498 .

Par exemple en milieu urbain, la collectivité est budgétairement contrainte de trancher entre la préférence pour une certaine qualité de la ville impliquant un développement des TC, ou bien la préférence pour la liberté de circuler en VP. Si la préférence pour les TC s’affirme, cela signifie l’acceptation d’un renoncement plus ou moins important à la liberté de circuler en VP, du moins sur certains créneaux de déplacement : cela se traduira inéluctablement dans les années à venir par des mesures visant à limiter la circulation automobile, soit par des mesures tarifaires, soit par des mesures réglementaires. Les premières pourront directement assurer des transferts monétaires vers les TC (taxes sur les carburants, parkings payant, ...). Les secondes assureront ces transferts de façon indirecte, en rééquilibrant l’usage des voiries urbaines entre tous ses usagers, pénalisant l’automobile par rapport à son droit aux TC (détours, restrictions de circulation...).

Le principe d’équilibre budgétaire tous modes se révèle ainsi le moyen non seulement d’éviter l’écueil des subventions publiques aux transports, mais aussi et surtout, ce principe permet véritablement l’émergence des préférences collectives dans la gestion des transports dans la mesure ou il contraint le décideur politique à des arbitrages stratégiques clairs et cohérents. Il peut être appliqué par toute collectivité confrontée à des problèmes de choix de politique des transports. On en conçoit l’intérêt :

Nous retrouvons l’intérêt, pour la clarification des choix stratégiques de politiques des transports, d’une organisation politique de type fédéral où les prérogatives de chaque niveau institutionnel sont bien définies.

Notes
496.

WISSMAN, Matthias (1993), Bundesverkehrsminister, Mobilität zwischen Wachstum und Ökologie, in Verkehrs Nachrichten Heft7, Bonn.

497.

MARTIN, Yves (1991), Prévenir l'effet de serre par une taxe sur l'énergie fossile, Mission interministérielle sur l'Effet de Serre.

498.

IWW, INFRA (1995), External Effects of Transport, project for UIC, Paris, p. 278.