III3.4 L’internalisation dans les politiques ferroviaires : La directive 91-440 de séparation de l’infrastructure et de l’exploitation

Face aux situations critiques des réseaux ferroviaires européens qui entravent la constitution d’un réseau continental performant, la communauté a émis de nombreuses propositions. Les directives de 1969 proposaient de clarifier les relations financières entre les Etats et leurs réseaux. Par la suite, depuis 1980, certains Etats ont certes fait un effort d’assainissement en la matière (contrat de plan Etat français-SNCF), mais globalement, l’endettement des chemins de fer a véritablement explosé entre 1970 et 1990 506  : cette tentative de clarification des relations Etats-réseaux de chemins de fer peut donc être considérée comme un échec 507 (Cemt, 1986).

Le constat de la non application des directives de 1969, avec la persistance voire l’aggravation de cette crise financière des réseaux, ainsi que les exigences d’un marché unique des transports, ont conduit la CEE a proposer en 1991 à travers la directive 91 440 une restructuration ambitieuse, mais pragmatique : puisque l’on arrive pas à clarifier les relations entre Etats et réseaux, il « suffit » de séparer dans les chemins de fer la gestion de l’infrastructure, qui revient plus ou moins directement à l’Etat, de l’exploitation qui a vocation à être gérée comme une entreprise privée. Remarquons qu’une telle séparation est implicitement liée à un système de tarification au coût marginal, puisqu’il est improbable (et économiquement irréaliste) que les Etats se dessaisissent de la maîtrise des infrastructures ferroviaires.

Dans le cadre d’un telle séparation, l’intervention publique en matière de transport ferroviaire peut se faire de manière beaucoup plus transparente que lors d’une subvention à l’exploitation : un choix politique en faveur du rail se traduira par une augmentation des investissements d’infrastructures ferroviaires, sans qu’il y ai directement infraction à la concurrence, puisque le choix d’infrastructure a une légitimité politique intouchable.

Les dettes des entreprises ferroviaires sont transférées à l’Etat par l’intermédiaire de l’entreprise publique responsable des infrastructures, et l’entreprise responsable de l’exploitation peut alors se développer comme une entreprise privée, voire être privatisée. Une telle séparation n’est pas sans poser de problèmes, du fait de l’intégration croissante du matériel roulant avec la voie. Mais elle permet une orientation des choix publics vers le développement d’une offre ferroviaire performante et économique qui évite le piège des externalisant des subventions à l’exploitation.

Le principe d’une telle séparation existe en Suède depuis 1990 508 (Hanson, Nilson, 1991). Deux compagnies, la SJ responsable de l’exploitation, et les BV de l’infrastructure assurent le transport ferroviaire. La SJ fonctionne comme une entreprise commerciale, alors que les BV sont largement subventionnés. Le cas suédois est d’autant plus intéressant, que la séparation infrastructure exploitation s’est accompagnée de la mise en place d’un système de tarification qui s’inspire du « coût marginal social » similaire entre la route et le rail. Ce système de tarification prend en compte les « effets externes » d’insécurité et d’environnement, pour lesquelles des valeurs monétaires ont été adoptées par le parlement.

En Allemagne, la réforme actuellement en cours vise de façon similaire à séparer infrastructure et exploitation. La DB AG qui est aujourd’hui une société de droit privée détenue à 100% par l’Etat, sera ainsi dans les prochaines années séparée entre les activité voyageurs, marchandises et infrastructure. Le financement de la réforme, consistant à la reprise de la dette des chemins de fer par l’Etat est assuré par une augmentation de la fiscalité sur les carburants. Les intérêt de la dette, le remboursement des emprunts et les nouveaux investissements d’infrastructure sont en effet pris en charge par l’Etat. L’objectif de la réforme est donc bien de permettre de poursuivre la politique ferroviaire volontariste mais de façon plus économique, c’est à dire en faisant de considérables efforts de gestion. La philosophie de ce système actuellement mis en avant est de dégager ce qui peut être rentable dans le chemin de fer pour permettre une gestion de type commerciale et attirer des capitaux privés, tout en gardant une maîtrise publique de l’infrastructure. La réforme des chemins de fer pourrait permettre, selon le rapport de la commission, des économies cumulées sur la période 1991-2000 d’environ 160 milliards de DM, gains de productivité qui permettront de réduire d’autant les subventions fédérales 509 .

Intégrée à la réforme des chemins de fer, la régionalisation 510 permet d’entrevoir pour l’avenir des politiques de transports qui limitent les externalités pécuniaires intermodales par des choix plus responsables, plus cohérents, et plus adaptés aux la demandes locales. Elle obéit au principe selon lequel « les localités, ou institutions politiques qui demandent une charge de service public non rentable sur le marché, ont a couvrir les coûts non couverts » 511 (Mittelbach, 1984). Ainsi, par exemple, si les décideurs locaux décident de développer de façon conséquente la qualité des transports collectifs, la responsabilité financière de leurs choix les rendra tout naturellement très prudent quand aux améliorations de voiries ou aux enterrements des TC. Une telle responsabilité amènera de même ces décideurs à une plus grande vigilance quand à la maîtrise de l’urbanisme.

Notes
506.

Communauté des chemins de fer européens, (1990), Le poids des charges financières du passé, 13p + tableaux.

507.

CEMT, (1986), Dimension européenne et perspectives d'avenir des chemins de fer, 302p.

508.

HANSON, NILSON, 1991. Une nouvelle politique ferroviaire en Suède : la dissociation des fonctions d'entretien des infrastructures et de production de transport. Rail international, juin-juillet 1991.

voir aussi JENSEN, SJÖSTEDT, WOXENIUS, (1992). Railway organization, a preliminary apraisal of the swedish model.

509.

VERKEHRS NACHRICHTEN, (1993) Bahnreform-Gesundung durch Wettbewerb, 6-93 et Briefe zur Verkehrspolitik (1993), Bahnstrukturreform bereits vor der nächsten Hürde, Nr. 1/2-93.

510.

DB, (1994), La régionalisation des services voyageurs régionaux de la DBAG - Partie intégrale de la réforme des chemins de fer allemands, Visite de renseignement des membres de la commission d'enquête de l'assemblée nationale sur l'état des chemins de fer nationaux, 20 avril 1994.

511.

MITTELBACH, Roger (1984), Probleme der Sanierung der Deutschen Bundesbahn durch die Änderung institutioneller Rahmenbedingungen, Frankfurt.