Conclusions de la troisième partie

La première partie de ce mémoire nous a permis de mettre en relief les limites de l’analyse marginaliste des externalités technologiques, explicitement ou implicitement fondée sur une hypothèse de fonction de bien être collectif. Dans la seconde partie, nous avons montré le caractère fondamentalement politique de la valorisation des préférences sociales. Dans cette dernière partie, nous avons cherché à apporter un enrichissement théorique ou du moins un éclairage de la théorie susceptible de renforcer la pertinence de l’approche économique.

Cet enrichissement part d’un principe de relativisation de la vision socio-économique s’appuyant plus seulement sur une fonction de bien être collectif, mais aussi sur la réalité de choix politiques. Dans le chapitre 1, l’adoption comme légitime des choix politiques de structure face à des problèmes sociaux tel que l’environnement nous amène à une vision particulière des phénomènes de rendement croissant, liés à des investissements publics, et des phénomènes de saturation, liés à des sous-investissements. Nous montrons que certaines valeurs sociales peuvent poser des frontières au marché, frontières qui limitent le champ de la régulation marchande et induisent des choix de structure politiques de régulation globale de certaines activités. Ces choix globaux induisent des phénomènes de saturation et de surcapacités dans des marchés de biens tout ou partiellement substituables. Pour un marché de deux biens A et B tout ou partiellement substituables, nous définissons alors l’externalité pécuniaire de structure comme la somme des interactions entre la consommation du bien A et le prix du bien B, et de la consommation du bien B et du prix du bien A. Si la production de A rencontre une saturation sociale et si la production de B est socialement souhaitée comme alternative, l’externalité pécuniaire de structure est alors égale à la somme de « l’externalité de saturation » du bien A et de « l’externalité réseau » liée à la production du bien B.

Le terme « de structure » vise à bien marquer la relativité de ces externalités pécuniaires aux choix de structure qui maintiennent un état de sous- ou de sur-investissement. Ces valeurs sont des externalités dans la mesure ou elles représentent des divergences entre les raretés révélées par le marché et les raretés révélées par les choix politiques. L’externalité pécuniaire de structure est ainsi une image de la divergence entre choix publics et choix marchands. Nous envisageons alors une interprétation double de cette externalité pécuniaire, qui représente à la fois une externalité, mais aussi une erreur de régulation, dans la mesure ou elle est la conséquence de choix de structure inachevés. Des investissements ou rationnements non accompagnés des régulations tarifaires et réglementaires qui leurs seraient cohérentes peuvent en effet être considérés comme des choix inachevés, qui ne conduisent pas aux objectifs visés, du fait des externalités pécuniaires de structure qu’ils génèrent. Nous montrons ainsi comment l’analyse économique est enrichie de cette approche « de structure » qui complète la vision marginaliste traditionnelle. Cherchant les domaine de pertinence respectifs des deux approches, nous précisons que l’approche marginaliste est plus adaptée lorsque les interactions non-marchandes sont faibles et bien identifiées, alors qu’une vision globale relativisée aux choix politiques s’impose lorsque ces interactions sont fortes et mal connues. Cependant, la discontinuité de la frontière entre ces deux domaines de pertinence nous invite à garder en permanence une vision duale de la réalité sociale.

Délimitant le domaine d’insuffisance de l’analyse marginaliste dans les transports, nous distinguons particulièrement le secteur des infrastructures en espace contraint, ainsi que les transports collectifs. Effectivement, plus les espaces sont contraints plus la traduction des préférences sociales passent par des choix politique de structure qui peuvent notamment révéler une préférence collective très nette pour le développement de transports alternatifs au mode routier dominant. Dans de tels espaces, les externalités technologiques fussent-elles internalisés, l’analyse marginaliste est défaillante : la logique même d’un marché mettant en concurrence un mode « organisé » ayant des coûts à rendements croissants et un mode routier ayant des coûts à rendement décroissant ne permet pas à l’action décentralisée du marché de conduire à un système de transport minimisant ses coûts.

Nous proposons alors une démarche d’internalisation qui consiste à tarifer le maximum d’externalités technologiques identifiées, avant de passer aux externalités pécuniaires restantes. Nous nous intéressons alors à la liaison entre internalisation « de structure » et tarification des infrastructures de transport. Nous mettons ainsi en relief l’erreur que représente la mise en avant d’un principe d’équilibre budgétaire par mode avec internalisation des seules externalités technologiques identifiées. Un tel principe revient finalement à réduire le sens du choix politique d’infrastructure à un rôle d’optimisation de l’offre en fonction de la demande marchande. Il conduit à nier à la fois la réalité et la nécéssité de la révélation de préférences « de structure » qui n’existent pas a priori, mais qui sont révélées à travers le choix politique.

Nous précisions alors le sens du principe de tarification au coût marginal social, qui seul peut assurer l’internalisation des externalités pécuniaires « de structure » telles que nous les avons définies. Ce principe est en effet lié à des transferts de surplus de l’activité qui rencontre une saturation sociale vers l’activité socialement préférée. Nous montrons aussi comment le principe de tarification au coût marginal peut être complété de manière à assurer un équilibre budgétaire global du système de transport. Finalement, ce principe de tarification au coût marginal sous contrainte d’équilibre budgétaire global est équivalent à un principe d’équilibre budgétaire par mode qui cependant internalise les externalités pécuniaires « de structure ». Une telle internalisation permet d’assurer à la fois une régulation marchande et une satisfaction de préférences sociales qui se manifestent dans des choix de structure.

Analysant alors les externalités pécuniaires de structure existant dans le secteur des transports, nous identifions tout une série de subventions publiques implicites du secteur des transport, induites par la non cohérence entre les choix d’infrastructure et les mesures réglementaires et tarifaires existantes. Nous mettons ainsi en relief les externalités induites par des mesures de soutien au transport ferroviaire ou aux transports publics qui s’effectuent dans le cadre d’une baisse des prix de la route. Dans les politiques d’aménagement du territoire, nous montrons les effets pervers d’investissements publics parallèles et concurrents qui, du fait de leur substituabilité totale ou partielle, ne peuvent être viables que subventionnés par la collectivité.

Ce diagnostic nous amène alors à proposer, pour les secteurs du marché des transports qui justifient une analyse en termes globaux, une internalisation par une gestion inter-modale globale des choix d’infrastructure de transport. Cette gestion inter-modale globale permet d’arriver à une régulation du marché des transports budgétairement neutre, par des transferts des secteurs saturés à rendements décroissants vers les secteurs à rendement croissant. Nous remarquons que l’intérêt d’un équilibre budgétaire global du système de transport n’est pas seulement de limiter le niveau des interventions publiques. Effectivement, l’équilibre budgétaire est un puissant moyen qui contraint les décideurs publics à des arbitrages cohérents entre différentes options stratégiques. En effet, la mise en relief des transferts nécessaire à assurer la cohérence des options stratégiques choisies peut garantir plus de cohérence et de responsabilité dans les choix politiques. Dans les transports urbains, c’est le principe d’équilibre budgétaire qui est le plus puissant facteur pouvant amener à des choix de partage de la voirie en faveur des transports collectifs, si leur développement est choisi comme option stratégique. En matière d’aménagement du territoire, la encore, c’est le principe d’équilibre budgétaire global du système de transport qui peut amener à plus de cohérence dans les choix d’infrastructures. Ces éléments nous amènent à émettre les plus grandes réserves sur les systèmes de concessions des réseaux d’infrastructure par mode, qui tendent à multiplier les incohérences stratégiques. Nous reconnaissons au contraire l’intérêt de la directive européenne 91-440 qui revient à donner aux Etats la responsabilité de la gestion des infrastructure ferroviaires et peut conduire à une meilleure cohérence stratégique des investissements tous modes.