Cette représentation qui a influé sur la construction des frontières au nord de l’Inde, est partiellement responsable de la genèse du conflit sino-indien et influence encore profondément les stratèges et hommes politiques indiens dans leurs actions. Mais elle repose sur un présupposé de symétrie entre Inde et Chine, alors que le massif himalayen présente une dissymétrie nord-sud forte : au gigantesque escalier vers les cimes, d’une profondeur moyenne d’une centaine de kilomètres au sud font pendant, au nord, les hautes terres tibétaines sur une profondeur moyenne d’un millier de kilomètres. Si à égale distance des ligne de crêtes, le commandement peut atteindre 8 000 m au sud, au nord il est en moyenne de 4 000 m.
A cette dissymétrie physique s'en ajoute depuis une cinquantaine d’années une seconde, de nature politique : tandis que les pentes nord des crêtes himalayennes sont sous le contrôle d’un seul Etat - la Chine - l’Inde partage le versant sud avec trois autres Etats : le Pakistan, le Népal et le Bhoutan. Est-ce à dire que le thème à étudier est celui des frontières de la Chine face à ses voisins himalayens ? Il s’agit plutôt de rendre compte de frontières qui ont comme caractéristique première d’être toutes tracées sur la barrière himalayenne et qui sont aussi, sauf la dyade indo-pakistanaise, directement issues d’une dynamique historique commune, liées à la mise en place du dispositif frontalier de défense de l’empire britannique face, au nord, à des empires qui n’étaient pas seulement chinois. Il s’agit enfin de comprendre les formes et modalités de l’action politique et militaire à la (aux) frontière (s) des deux principaux Etats de la région, qui ont hérité, directement ou non, de ce dispositif : l’Inde et la Chine.
La partition politique des pentes sud de l'ensemble himalayen introduit une seconde dimension dans le litige entre Inde et Chine, qui s'exprime à deux niveaux : c'est tout d'abord la possibilité pour la Chine de mettre à profit les rivalités entre Etats du sous-continent pour influer sur la stricte rivalité frontalière avec l'Inde, notamment celle entre Inde et Pakistan, autant que les velléités d’indépendance stratégique ou économique du Népal et du Bhoutan.
C'est deuxièmement pour les deux pays la réalité d'un contact multiforme dans les Himalayas12 et donc l’existence d'autres litiges de frontière, notamment entre Chine et Bhoutan, entre Inde et Pakistan. En tout sept dyades13, qui totalisent une longueur de 7592 kilomètres14, sont tracées dans le massif. Ce chiffre est obtenu en tenant compte des tracés qui sont à l’heure actuelle respectés, soit parce qu’ils ont été définis, délimités ou démarqués, soit parce que la localisation des forces en présence de part et d’autre de certaines lignes (les lignes de contrôle effectif ou lines of actual control selon la terminologie indienne) nous oblige à utiliser ces dernières comme références. Un calcul prenant en compte les revendications formulées par les différents Etats donne des résultats peu différents (l’écart est de l’ordre de 2%), à l’exception des dyades sino-indienne et sino-pakistanaise à la hauteur du secteur du Siachen, faisant varier leur longueur respective de plus ou moins 60 km, selon la souveraineté attribuée à ce triangle montagneux.
| Chine | Inde | Népal | Pakistan | |
| Bhoutan | 470 | 605 | ||
| Chine | 3380 | 1117 | 523 | |
| Inde | 1690 | 740 |
Les dyades représentent respectivement 7,3%, 32,4%, 37,1%, 16,9% et 6,2% de l’ensemble des limites himalayennes, qui sont différenciables en deux catégories, selon leur localisation dans le massif pour les Etats du sud face à la Chine :
un premier ensemble, de faible importance (2300 km), qu’on pourrait désigner sous le nom de frontières de basse altitude. Il concerne les dyades indo-népalaise et indo-bhoutanaise et pour partie la dyade indo-pakistanaise, dans la section montagneuse de son tracé ;
un second ensemble, le plus important (4412 km15), mérite le terme de frontières de haute altitude. Il concerne la quasi totalité de la dyade sino-indienne, ainsi que les dyades entre Chine d’une part, et le Pakistan le Népal et le Bhoutan d’autre part. Ces frontières sont tracées dans un milieu qui, s’il n’est pas forcément hostile, est tout au moins différent de celui de basse altitude et génère pour les Etats concernés des contraintes spécifiques de gestion.
| enveloppe totale | longueur en Himalaya | total Himalaya (%) | |
| Bhoutan | 1 075 | 1 075 | 100 |
| Chine | 22 143 | 3 130 | 14 |
| Inde | 14 103 | 4 088 | 29 |
| Népal | 2 807 | 2 807 | 100 |
| Pakistan | 6 774 | 1 263 | 18 |
Ces frontières représentent un peu plus de 19% de la longueur totale des enveloppes des Etats en présence, sauf pour le Népal et le Bhoutan.
Contact entre Etats, contact entre modes de gouvernement (monarchie).
Nous comprenons la dyade comme une frontière commune à deux Etats contigus. Cette définition est avant tout un constat "statistique" et n'implique pas forcément - comme certains l'ont écrit - une binarité réductrice.
Les longueurs des dyades ont été mesurées à partir de cartes au 1/250 000, parfois au 1/1000 000. Les mesures obtenues demeurent dans un intervalle d'erreur de moins de 5% par rapport aux données officielles des différents Etats, quand elles sont disponibles.
S’ajoute quelque 880 km de frontières « intermédiaires », courant dans le sens de la pente depuis les basses terres jusqu’aux frontières de haute altitude.