La Marche Ou Une Approche Globale De L’interaction Sino-Indienne

Les logiques liées d’intégration et de sécurité ont abouti à la création de territoires frontaliers géographiquement différenciés. Autant qu’une géographie de la frontière sino-indienne et des territoires en position de frontière, le présent travail se veut une réflexion sur la notion de marche, sur son « invention » par les stratèges britanniques du siècle dernier, et sur sa préservation paradoxale dans le cadre d’Etats-nations. L’approche choisie est bien celle d’une géographie centrée sur un objet particulier - 4 000 km de frontières -, et selon une démarche globale nécessaire à la compréhension du processus de production des marches himalayennes. En ce sens, c’est bien la combinaison d’échelles différentes - la grande échelle du tracé et la petite échelle de la stratégie - qui a permis la réalisation de ce travail.

Rappelons qu’il s’agit d’un milieu particulièrement difficile d’accès, et pas seulement en raison de l’altitude. En premier lieu l’accès à la frontière, au moins pour la dyade majeure - entre Inde et Chine - est difficile en raison des servitudes de déplacement qui existent tout au long de son tracé, sauf à quelques rares points de franchissement. En outre, les dix dernières années qui se sont écoulées ont vu se multiplier les lieux de tension dans la région : imposition de la loi martiale au Tibet en 1987, reconduite plusieurs fois, tandis que les déplacements libres à l’intérieur de la Région Autonome devenaient de moins en moins possibles; éclatement puis durcissement du conflit du Siachen à l’ouest et litige du Sumdorong chu à l’est, qui a suscité le renforcement du dispositif militaire au centre - au Sikkim -; au Cachemire, mutation du mécontentement général en « Intifada » puis en guérilla qui s’est développée hors de la cuvette de Srinagar et déborde désormais sur le versant sud du Pir Panjal.

La recherche a donc été conduite à partir de séjours de terrain (Cachemire, Ladakh, Himachal Pradesh, Népal, Tibet) et d’une recension des textes juridiques, administratifs et des discours des hommes politiques et des analyses des chercheurs (non seulement indiens et chinois, mais aussi occidentaux).

L’analyse de la complexe interaction sino-indienne selon une logique de marche répond donc au désir de réaliser une approche globale de l’interface de contact entre les deux Etats majeurs d’Asie, tant par leur dimensions que par leur population, et qui ont en commun de se projeter en-dehors de leurs frontières, de mener ou de chercher à mener une politique de rayonnement politique et stratégique régionale. En soi le litige frontalier entre Inde et Chine ne concerne que la dyade commune mais ce qui se joue à la frontière n’est qu’un élément des relations de voisinage entre les deux Etats, qui constitue plus généralement l’interaction sino-indienne, s’inscrivant dans un espace plus vaste, où les autres Etats participent et contribuent à apporter au différend sino-indien une dimension régionale. C’est un espace débordant la chaîne himalayenne stricto sensu, un « autour des Himalayas » qu’il convient de définir comme pertinent dans le cadre de cette analyse et qu’on dénommera tibéto-himalayen en référence aux ensembles physiques constituants. On ne s’attachera pas à délimiter précisément cet espace, sauf à constater qu’il prend en compte l’ensemble des massifs montagneux entre Chine et Asie du sud, parce qu’une telle définition en eut impliqué une seconde, de région frontalière, qui aurait constitué un cadre normatif peu conforme aux représentations qu’en ont les acteurs, comme aux pratiques qu’ils y exercent, tant ces dernières varient au long du massif. Une géographie des frontières, surtout litigieuses (ou potentiellement litigieuses) est aussi une géographie des représentations associées, autant que celles des pratiques à l’oeuvre à proximité de ces lignes imaginées.